Harald Langstrøm
La compréhension du manuscrit LaraDansil pose des problèmes de différentes natures. Il convient dans un premier temps d’en étudier la structure : celle-ci, très soigneusement réfléchie, est susceptible de nous apprendre beaucoup. J’ai déjà indiqué quelle était son organisation linéaire, en trois parties et onze chapitres, et décrit par le menu les alphabets qui s’y trouvaient employés.
Je vais m’intéresser maintenant à la nature de la langue, et aux ressources dont nous disposons pour en percer les mystères — ceux-ci tenant essentiellement au fait qu’il s’agit d’un langage (l’énantien) dont il n’existe à ma connaissance aucun locuteur avoué sur terre, et que d’autre part les textes rédigés en transcript 1 utilisent une grammaire très fortement parataxique, faisant de ceux-ci un discours enchâssé.
1. La traduction des textes originaux qui figurent en espénien dans le manuscrit LaraDansil me fut rendue possible, sinon aisée, du fait que je disposais de ce que je pris dans un premier temps pour deux « pierres de Rosette » connexes. Les choses, à l’usage et comme souvent, se révélèrent plus complexes.
Il s’agissait en premier lieu du livre de Théodore Flournoy : Des Indes à la planète Mars, étude sur un cas de somnambulisme avec glossolalie, Genève et Paris, 1900, suivi de : Nouvelles observations sur un cas de somnambulisme avec glossolalie, Archives de psychologie de la Suisse Romande, tome 1er, n° 2 (décembre 1901), — et en second lieu, de la « version anglaise » accompagnant le manuscrit lorsque le colonel Fitzhubert en fit l’acquisition.
Mes études préalables, surtout celles qui concernaient les œuvres de S-21 (cet artiste de rue d’origine cambodgienne mort à Copenhague en 2006), m’avaient d’ores et déjà mis en contact avec un certain nombre de textes rédigés dans cette langue mystérieuse, au premier rang desquels il faut compter le Codex espeniensis et le Cahier énantien[1].
2. Ayant compris que la langue utilisée par le manuscrit était, sous une forme ou sous une autre, le « martien »[2] d’Hélène Smith (alias l’espénien de S-21), je pus dans un premier temps translittérer l’ensemble des textes rédigés en transcript 2, m’en donnant ainsi un sorte d’« équivalent latin » :
Ainsi, pour le texte n° 75 du manuscrit :
zie kangkξ riz zi modie, zie kangkξ imizi ze ima, pechkatave ni balbee.
kiemendeche kie bouaflire, kiemendeche kie zou veteche
tese amiche capriee ni fimezee,
tese kouibξ vriniee fabiee lade zi ima
tia tie prianiξ kimiritrizive.
mis vinia med ze iodievine avete, Miranda Katev.
[Les rochers sur la mer, les rochers sous le ciel, déserts et nus.
Nul ne visite, nul ne voit plus
ces mains noires et mortes,
ces doigts tordus dressés vers le ciel
hors des flots immobiles.
Un nom pour l’archipel aîné, Non-être Miranda.]
Un texte que l’on peut mettre en regard avec, par exemple : Hélène Smith, n° 28, Théodore Flournoy, Des Indes à la Planète Mars, p. 215-216 :
men mess Astané, cé amès é vi itêch li tès alizé néümi, assilé, kà ianiné êzi atèv ni lé tazié é vi med iéeξ éziné rabriξ ni tïbraξ. men, amès di ouradé ké Matêmi uzénir chée kida ni ké chée brizi pi dézanir. évaï diviné tès luné.
[Ami grand Astané, je viens à toi toujours par cet élément mystérieux, immense, qui enveloppe mon être et me lance à toi pour toutes mes pensées et besoins. Ami, viens te souvenir que Matêmi attendra ta faveur, et que ta sagesse lui répondra. Sois heureux ce jour.]
(Visuel, 3 octobre 1898, traduit le 16 octobre.)
3. Je me rendis compte ensuite que les textes rédigés en transcript 3 (n° 3, 9 et 16 haut du manuscrit), correspondaient à la lettre près aux textes en transcript 2 qui les accompagnaient (n° 5, 11 et 16 bas) ; il n’y avait donc pas lieu de me préoccuper, dans ma tâche de traducteur, de cette police d’écriture particulière[3].
[Les deux formes de transcript 2 (transcripts 2-a et 2-b) qui se font régulièrement écho au sein des chapitres 4 à 11 du manuscrit, mettent d’autre part en valeur, en un contrepoint complexe, les différentes interventions des protagonistes du drame[4].]
4. Il me fut en revanche beaucoup plus difficile d’identifier à quelles lettres de l’alphabet énantien correspondent les caractères des textes rédigés en transcript 1, dans leurs deux flux de discours parallèles, majuscule et minuscule.
À cet égard, le texte n° 67 du chapitre 10, en raison de ses propriétés ostensibles, me fut une sorte de sésame. On y trouve en effet, au témoignage de sa « traduction » anglaise, des termes plusieurs fois répétés :
Sister/brother is ELDER/YOUNGER,
Sister/brother is MAN/MAN
Sister/brother is WOMAN/WOMAN
Sister/brother is ENANTIA/ENANTIA
Sister/brother is BENIEL/BENIEL.
(Sœur/frère est AÎNÉ(E)/PUÎNÉ(E)
Sœur/frère est HOMME/HOMME
Sœur/frère est FEMME/FEMME
Sœur/frère est ENANTIA/ENANTIA
Sœur/frère est BENIEL/BENIEL.)
Or le lexique français/énantien établi par Théodore Flournoy à partir des phrases « martiennes » d’Hélène Smith nous donne (sans compter bien entendu les deux noms propres de « Béniel » et « Énantia ») les correspondances suivantes :
femme = « médache » (cf. Hélène Smith, texte 1)
frère/sœur = « boua » (cf. Hélène Smith, texte 38)
vieux = « avé », (cf. Hélène Smith, texte 8), un adjectif à partir duquel est formé « avété » = plus âgé
petit = « kiné », (cf. Hélène Smith, texte 3), un adjectif à partir duquel est formé « kinété » = plus jeune
On a d’autre part, pour le texte n° 67 en transcript 1 du manuscrit :
*SHAKUNDANSIAL vini
*TRANEI ti PALIR manivi MANITRASEI kaprinie NI haudangatei
*PROVETRANEI larashakun IEBROUKE ne fimeze
*KITETRANEI benieldansial TUBRE ne essav
*TESEKIT boua teri AVETE KINETE
*TESEKIT boua teri MENDECHE MENDECHE
*TESEKIT boua teri MEDACHE MEDACHE
*TESEKIT boua teri ENANTIA ENANTIA
*TESEKIT boua teri BENIEL BENIEL
*SHAKUNDANSIAL vini
*VOIE du TEMPS multiple LABYRINTHE sortie ET cul-de-sac (prison)
*PREMIÈRE VOIE larashakun MUTILÉE est mort
*SECONDE VOIE benieldansial SEULE est vie
*CES DEUX frère/sœur comme AINÉ PUINÉ
*CES DEUX frère/sœur comme HOMME HOMME
*CES DEUX frère/sœur comme FEMME FEMME
*CES DEUX frère/sœur comme ÉNANTIA ÉNANTIA
*CES DEUX frère/sœur comme BÉNIEL BÉNIEL
[Une difficulté supplémentaire fut cependant qu’Hélène Smith rend dans tous les cas le mot homme (par opposition à femme = « médache ») par : « métiche », et non, comme ici, par : « mendèche », — un terme en revanche abondamment utilisé par le codex espeniensis dans le sens, conceptuellement tout à fait différent, d’être humain en général (cf. le latin homo, distinct de vir, qui désigne spécifiquement l’être humain de sexe masculin).]
Je pus d’autre part assez facilement identifier le jeu de noms propres qui introduisent, et dans le manuscrit et dans sa « traduction » anglaise, nombre de textes en transcript 1, et qu’accompagne, en lettres minuscules, le terme, répété à satiété, de : « vini » = titre, avec :
Chapitre 5 : AGRU
Chapitre 6 : AJUBENIAL
Chapitre 7 : KAJUDENIAL
Chapitre 8 : KAJUNDANIAL
Chapitre 9 : KAKUNDASIAL
Chapitre 10 : SHAKUNDANSIAL
Un dernier fil d’Ariane fut enfin pour moi que les textes présents dans les trois premiers chapitres (respectivement n° 1-3-5, 7-9-11 et 13-16 haut et 16 bas), nous disent en substance la même chose, et ont recours pour ce faire à un lexique très analogue, dont je connaissais la restitution latine en termes de transcript 2 et 3.
5. Il existe cependant des différences, parfois fondamentales, entre les deux références principales qui se trouvaient à ma disposition lorsque j’entrepris de traduire le manuscrit LaraDansil: la « version anglaise » achetée par le colonel Fitzhubert en même temps que l’original d’une part, le corpus de textes obtenus par Hélène Smith au cours de ses séances de transes d’autre part. Comment mesurer le degré de confiance relative que j’étais en droit d’accorder à l’un et à l’autre ?
Je considérai tout d’abord (de manière assez naïve je l’avoue) que les « communications médiumniques » d’Hélène Smith (et par voie de conséquence les ouvrages de Théodore Flournoy) avaient une valeur positivement décisive, et je préférai systématiquement leurs traductions mot-à-mot au contenu (parfois fantaisiste il est vrai) de la « version anglaise » du manuscrit[5]. Je ne m’étais pas de prime abord rendu compte que si, dans quelques cas, la source anglaise se révèle peu fiable, le témoignage d’Hélène Smith souffre d’un handicap structurel beaucoup plus profond : les descriptions de ce que la médium croyait être la planète Mars sont, je m’en rends compte aujourd’hui, systématiquement biaisées, — non seulement par la manière dont elles pouvaient être suscitées et reçues dans son entourage, mais aussi et surtout par la façon dont elles étaient immédiatement filtrées par les convictions philosophiques des intéressés, spirites aussi bien que scientifiques.
6. Un autre élément, de nature proprement linguistique cette fois, m’avait dans un premier temps poussé à investir le témoignage de Théodore Flournoy d’une valeur indûment prépondérante : ce dernier s’attachait, de façon presque maniaque, à obtenir d’Hélène Smith une traduction mot-à-mot de tous les textes martiens auxquels elle avait accès, ce qui lui permit d’établir un lexique martien/français comprenant plusieurs centaines mots, traduits (comme s’il s’agissait d’un code secret) de manière strictement bi-univoque.
Or cette volonté d’établir des traductions dénuées de toute ambiguïté sémantique n’avait pas pour but, dans l’esprit des savants qui fréquentaient les séances d’Hélène Smith, de se donner une meilleurs idée de la situation dans laquelle celle-ci se trouvait plongée : ils désiraient avant tout contrôler le degré de cohérence et de stabilité que manifestait, au cours du temps, la langue utilisé par les « correspondants martiens » de leur médium, — transformant ainsi, dans ses rapports avec le français, l’énantien en un idiome aussi peu polysémique que possible. Et c’est à n’en pas douter pour complaire à ses mentors qu’Hélène Smith accepta de se plier à ce jeu de traduction parfois proche du jargon :
(28) men mess Astané, cé amès é vi itêch li tès
Ami grand Astané, je viens à toi toujours par cet
alizé néümi, assilé, kà ianiné êzi atèv ni lé
élément mystérieux, immense, qui enveloppe mon être et me
tazié é vi med iéeξ éziné rabriξ ni tïbraξ. men, amès di
lance à toi pour toutes mes pensées et besoins. Ami, viens te
ouradé ké Matêmi uzénir chée kida, ni ké chée brizi pi
souvenir que Matèmi attendra ta faveur, et que ta sagesse lui
dézanir. évaï diviné tès luné.
répondra. Sois heureux ce jour.
(Visuel. 3 octobre 1898, trad. 16 octobre) Théodore Flournoy, Des Indes…, p. 216
Et bien que j’aie pu disposer ainsi d’un lexique de base — ce qui selon toute apparence simplifiait grandement mon travail —, je dus bientôt me rendre à l’évidence : l’identification à un seul et unique mot français, considéré comme universellement adéquat, de chaque mot « martien » répertorié par Théodore Flournoy, n’était qu’un artéfact, ayant pour effet d’accentuer dès le départ le caractère « étroitement français » du « martien » d’Hélène Smith.
7. Hélène Smith, ne s’étant jamais rendue en chair et en os sur Mars, ne pouvait en saisir que des visions filtrées par les esprits étrangers qui entraient en communication avec elle (ses amis martiens), et qui plus est médiatisées par ses propres préconceptions, conscientes aussi bien qu’inconscientes. Ainsi la planète Mars qu’elle nous décrit est directement tributaire des idées qu’à son époque publicistes et astronomes se faisaient de l’univers et du système solaire, où se situaient les seules planètes extraterrestres alors répertoriées.
8. Pour toutes ces raisons, ma position de principe est que le témoignage d’Hélène Smith ne peut pas être considéré comme contenant un reflet fidèle de la réalité énantienne, — bien qu’il ne soit pas non plus, comme le pensait Théodore Flournoy, une production pure et simple du subconscient infantile d’Élise Müller. Ce qui nous y est donné à voir et à entendre est un compromis entre un fond de réalité énantien (rendu parfois jusqu’en ses plus infimes détails), et une pittoresque mise en scène, une dramatique reprise de ce que j’appellerai les « réincarnations de l’humanité sous le ciel de Mars », — un travail de réécriture effectué par la petite communauté de fidèles qui assistait et parfois prenait part à ses transes. Et lorsque nous ne disposons d’aucun autre élément de preuve, il nous est malheureusement impossible de décider a priori quelle est, dans chaque cas et pour chaque élément, la part de l’interprétation subjective (individuelle ou collective) et celle du témoignage objectif.
En réalité, et en l’absence de données plus précises, j’aurais dû dès le départ maintenir une balance égale entre mes deux sources d’information principales, et en toute rigueur signaler quelles sont, parmi mes traductions, celles qui se trouvent doublement corroborées, — et celles qui s’appuient sur l’autorité d’une des deux seulement. C’est ce que j’ai fait dans une précédente publication destinée à un public érudit — au prix d’un appareil critique dont l’ampleur rend hélas ! la lecture malaisée[6].
9. De la langue énantienne, quelles connaissances tenons-nous en effet de première main ?
— Ce que nous a révélé Hélène Smith au sujet de ce qu’elle appelait la langue martienne ? Entre cet espénien et nous s’interpose le filtre des polémiques et des croyances alors en pleine efflorescence (pour ne pas dire en pleine turbulence), touchant au corpus remarquablement complexe des croyances spirites d’une part, aux capacités technologiques supposées des constructeurs de canaux de la planète Mars d’autre part.
— Devons-nous plutôt faire confiance à la « version anglaise » du manuscrit, dont nous n’appréhendons ni l’origine ni les intentions, et qui, sur un certain nombre de points de détail, se révèle assez fantaisiste ?
— Et que dire du codex espeniensis, du Cahier énantien, retrouvés en possession de S-21 sans que nous puissions en déterminer l’origine et la nature, et dont nous ne pouvons proposer que des traductions partiellement conjecturales…[7] ?
10. Il va sans dire que nos connaissances seraient beaucoup plus assurées si nous étions en mesure de comparer utilement le langage utilisée par le manuscrit LaraDansil (ainsi que les autres sources « espéniennes ») aux idiomes parlés en Rem Érion à l’époque où, entre 2021 et 2026, ce continent-île énantien fut accessible à nos investigations.
Mais le langage vernaculaire utilisé par les nikaïnéξ/nikaïnaξ de Rem Érion se comportait alors, lorsqu’on considère son développement dans la durée, comme s’il s’était lui-même privé de toute mémoire collective ou, plus exactement, comme s’il faisait preuve d’une plasticité littéralement spectrale. Cette langue était en effet incapable de freiner le pivotement incessant de son vocabulaire, la décomposition permanente de sa syntaxe : en chaque rencontre, en chaque saison, en chaque occasion, chaque groupe de locuteurs accordait une importance primordiale à la flexion de sa parole, à l’inventivité de ses métaphores, à la cocasserie de ses néologismes. À l’issue d’un délai fort court, le dialecte en vigueur dans chaque milieu donné, ayant glissé d’une rythmique à une autre, basculant d’un répertoire sémantique à un autre, s’entiché de nouveaux répertoires de figures et de tropes, se rendait comme étranger à lui-même, tellement plongé dans l’instantanéité de sa propre découverte qu’en lui le présent prenait le visage de l’inaltérable, la parole sans cesse réinvestissant les bastions de l’implicite.
Ce fantôme de pérennité orale occultant la plus extrême labilité des règles et des noms, était source d’une illusion si prégnante en sa transparence même, qu’à supposer même l’union passée de Rem Érion et d’Espénié, leur initiale identité de langage se serait effacée dans les perpétuelles métamorphoses des figures, aurait été noyée dans l’infinie variété des idiomes vernaculaires. Il n’est donc pas étonnant qu’on n’ait jamais dans ces conditions trouvé trace du moindre usage idiomatique rapprochant, ne serait-ce que par synecdoque ou métonymie, le pullulement des langues parlées en Rem Érion de l’énantien qu’utilise le manuscrit LaraDansil.
11. Et il est impossible — bien que pour de raisons tout à fait différentes — de discerner le moindre rapport de filiation ou d’analogie entre l’énantien et les systèmes graphiques qui, dans certains contextes, interviennent de manière décisive dans la vie des hommes qui résident en Rem Érion. Ces édifices sémantiques ont d’ailleurs une existence et une efficacité essentiellement visuelle — ou plus exactement spatiale ; on ne peut d’ailleurs considérer qu’ils constituent des langues « naturelles », c’est-à-dire des langues capables de rendre compte de l’ensemble des situations esthétiques, pragmatiques et affectives qui quotidiennement définissent la vie d’un groupe humain engagé dans la palette entière de ses activités matérielles et culturelles.
Ainsi, ce qu’on appelle improprement les « cités rubanées », dont il existe en Rem Érion plusieurs exemples monumentaux, à l’élaboration desquelles Nael di Faella fut amené à participer en compagnie d’Iwakachi Okuste et d’Elliane Danfern-Da’al, supposent l’élaboration, dans une atmosphère de compétition agonistique, d’univers graphiques absolument autonomes, — et de nature par conséquent asémique : leur but est de proposer à ceux qui y participent une vision cosmique (ou plus précisément un aperçu, de nature esthétique et méditative, de la face cachée du monde) ; on ne peut en aucun cas les considérer comme un système de signes capable de véhiculer des informations de type exotérique.
Deux exemples d’« écriture rubanée » : hologrammes réalisés sous la direction d’Iwakachi Okuste.
Et nous savons aujourd’hui, pour notre plus grand malheur hélas ! que ce que nous avons au départ pris pour un système symbolique formalisant une axiomatique « énantienne » de logique modale, était beaucoup plus que cela : grâce à ses dispositifs complexes faisant jouer un rôle essentiel à la substance matérielle du support (pierre ou métal) comme à la taille, à la structure, à la disposition relative des « caractères » gravés sur eux, les habitants de Rem Érion, parvenus au terme de leur existence mouvementée de nikaïnéξ/nikaïnaξ, se transformaient en d’extraordinaires statues de pierre. Et les « esprits-miroirs » de ceux qui avaient pris place dans ces sarcophages, investis désormais d’une forme de méditation cosmogonique infiniment sereine et définitivement stationnaire, faisaient le temps d’une éternité, de ces avaïnéξ/avaïnaξ les citoyens d’une communauté d’esprits pérennes à la taille l’univers[8].
Échantillon du langage opératoire des sarcophages, tel que restitué par les expéditionnaires de la PIDENT opérant dans le cadre du programme TERAG de la défunte ONU
Il n’y a donc là encore aucun point de contact possible entre cette structure langagière transcendantale, indissociablement matérielle et spirituelle, technique et « psychotropique », opérative et spéculative — qui contrairement à ce que l’on avait tout d’abord cru, est tout sauf conventionnelle —, et l’énantien du manuscrit LaraDansil.
Il est en dernier lieu absolument certain que les notations symboliques que l’on trouve dans : Au miroir du Verbe (ainsi que l’appela Nael di Faella : il s’agit d’un Livre sans auteur que Naël reçut, au cours de son périple en Rem Érion, des mains d’un moi, d’un avatar plus âgé), ne correspondent, comme le font les différents transcripts du manuscrit LaraDansil, à aucun alphabet identifiable, et en tout état de cause ne permettrait pas d’exprimer un univers de concepts qualitativement analogue à celui qui se trouvent déposé dans les structures profondes de l’énantien.
Symboles ésotériques (?), tels qu’ils figurent dans : Au miroir du Verbe, le livre sans auteur de Nael di Faella
Et si un lecteur non prévenu était enclin à voir, dans ces lignes de symboles d’espect éminemment hermétique, un équivalent des formules et des systèmes d’équations qui émaillent si généreusement nos publications scientifiques, rien non plus ne permet d’abonder en faveur de cette hypothèse, — qui rendrait de toute manière ce système de notation d’autant plus étranger à la langue espénienne[9].
12. Bien que l’énantien du manuscrit LaraDansil, l’espénien des deux ouvrages retrouvés en possession de S-21 (Codex espeniensis et Cahier énantien), et le martien d’Hélène Smith ne soient bel et bien une seule langue, des différences structurelles tout à fait obvies permettent d’opposer à tous les autres les textes du manuscrit rédigés en transcript 1 — avec leurs deux flux de discours (majuscule et minuscule) se développant en parallèle.
Nous ne connaissons malheureusement aucun autre échantillon de ce type particulier d’écriture. Il est par conséquent difficile de faire la part, dans ce corpus particulièrement restreint (seulement douze paragraphes d’allure universellement sibylline, cinq d’entre eux cependant étant accompagnés d’un sorte de « translation équivalente » en transcript 2), de ce qui en eux relève des exigences de la grammaire, ou s’explique par la prosodie du discours, ou bien dépend de la seule fantaisie individuelle.
13. L’originalité profonde des textes rédigés en transcript 1 tient à la façon dont ses articulations (ses expressions, ses membres de phrase) se trouvent distribués entre les flux parallèles de son dire. Outre la nature de ses caractères, qui évoquent bizarrement l’écriture chinoise, le transcript 1 se distingue de toutes les autres formes de l’énantien en ceci que ses énonciations, rompant avec les exigences syntaxiques de l’espénien ordinaire, se développent selon deux fils d’énonciation qui font un usage particulièrement étendu de l’agglutination, en sorte qu’on ne discerne dans la généralité des cas aucune séparation (aucun « vide », aucun « blanc », aucun « silence ») entre les caractères typographiques dont se composent ses propositions.
Mais si le transcript 1 met extensivement en œuvre l’agglutination dans les deux flux de son discours, la différence entre ces deux niveaux de langue tient à ce que chaque verset, dans le fil majuscule, est quasiment dans tous les cas[10] composé d’un seul mot-phrase continu (qui relève alors certainement de la parole individuelle, non de l’automatisme signifiant du syntagme), tandis qu’au sein de chaque verset, le « flux minuscule », se trouvant comme indexé au précédent, se trouve en général composé de plusieurs expressions (syntagmatiques) disjointes.
D’un flux à l’autre en revanche, il y a simple juxtaposition, en sorte que si l’agglutination proprement dite trouve à se déployer dans chaque flux de langue séparément, les rapports qu’entretiennent ces deux niveaux de signification sont de nature essentiellement parataxique.
14. Il n’est pas facile de distinguer parataxe et agglutination. On les traite parfois comme une seule et même opération linguistique, différant par le degré de fusion (ou de confusion, ou d’amalgame) de leurs éléments constitutifs. La parataxe dans ce cas aurait pour propriété de conserver dans leur intégrité les éléments qu’elle met en contact direct (ainsi dans « abat-jour », « désamour », « doux-amer » etc.), tandis que l’agglutination donnerait lieu à une forme d’alliage plus intime, enveloppant différents degrés de coalescence (ainsi dans les mots-valises, « franglais », « foultitude »[11], etc.,).
Selon une autre interprétation, l’agglutination serait à l’origine d’un mot perçu comme indécomposable (ainsi : « napalm », « concorde », etc., — qui, étymologiquement parlant, sont pourtant des mots composites), le résultat de la parataxe étant de son côté perçu comme une expression complexe : « avoir un mal de chien », « chercher midi à quatorze heures », etc.)[12].
Il existe en réalité, concernant les termes mixtes de la langue, une infinité de possibilités — que l’on rangera après coup sous l’une ou l’autre de ces rubriques plus ou moins distinctes que sont l’agglutination, la parataxe, l’incise, l’inclusion, l’enchâssement…, etc., etc. Les éléments constitutifs des termes créés par simple juxtaposition peuvent d’ailleurs être ou ne pas être de même nature grammaticale, — certains n’étant pas même des « mots », des entités linguistiques dotées d’un sens indépendant. Ainsi, le « signe » « dé(s)- » qui apparaît dans : « dés-amour », peut être mis en rapport avec le préfixe des substantifs : « dé-molition », « de-struction », « dé-figuration », etc., tandis que le suffixe « -ion » présent dans les trois derniers mots se comporte comme une sorte d’indicateur nominal caractérisant le résultat d’une action — même et surtout si la nature de celle-ci n’est pas toujours clairement perçue : que serait en effet l’antonyme de : « démolition » formé sur le modèle des couples : « destruction/construction », « défiguration/configuration » ?
15. Dans mon esprit — mais sans que je fasse de cette opinion une affaire de dogme — l’agglutination correspond à une opération de fusion qui, de plusieurs éléments, crée un nouveau terme, dont le sens ne sera pas obtenu par simple addition des significations précédentes, mais développe sa propre originalité, acquiert son propre répertoire sémantique. Et si elle va jusqu’à permettre parfois une certaine dose de télescopage, de compactage au niveau des signifiants, l’agglutination a toujours pour effet de faire apparaître un mot porteur de significations propres, un mot qui éventuellement n’entretiendra que de très lointains rapports avec ce qui fut au départ son « sens étymologique ».
La parataxe en revanche consiste en la juxtaposition sans fusion, en l’addition d’éléments qui demeurent peu ou prou discernables. On peut y voir ainsi le degré 0 de la relation, la nature de la présence l’un à l’autre de ses différents composants n’étant nullement spécifiée. En transcript 1, un élément de complexification, qui est une sorte de spécification universelle, apparaît cependant avec la parataxe généralisée de ses deux flux de discours : entre ses éléments juxtaposés, majuscules et minuscules, existe un rapport de subordination orientée, non de simple coexistence, ce qui constitue un début de mise en forme syntaxique, un embryon d’enchâssement.
16. Cette différenciation entre agglutination et parataxe n’a cependant qu’une valeur relative, et doit être utilisée avec une certaine discrétion : il ne faudrait surtout pas introduire une distinction dogmatique là où il y a passage incessant d’une opération à l’autre.
Pour illustrer ce fait, je donnerai trois exemples — auxquels d’ailleurs il faudra se garder d’accorder une trop grande importance : considérant l’étroitesse de mes sources, je ne prétends en la matière à aucune espèce d’exhaustivité objective.
a) Parenthésage élémentaire par alternance des flux de discours.
Chapitre 11, texte n° 73, verset 3
*KIE-MENDECHE
zou-bouaflire veteche-zou
*NUL-PERSONNE
ne-plus-visite ne-voit-plus
avec son équivalent en transcript 2, texte n° 75, ligne 2 :
kiemendeche kie bouaflire, kiemendeche kie zou veteche
Nul ne visite, nul ne voit plus…
KIEMENDECHE est un mot composé de : kié = « ne… pas », « non », et de : mendèche = « être humain », — soit en français : « nul être humain », « personne ».
La présence des deux flux de langue permet de ne pas répéter cet élément central, qui s’applique indifféremment aux deux membres minuscules (et disjoints) de la phrase. Cela permet aussi, par rapport à son équivalent en transcript 2, de faire l’économie de la double négation :
kiemendeche kie…, kiemendeche kie…
tandis qu’en contrepartie le mot : zou = « plus » se trouve répété deux fois dans la version en transcript 1.
b) Agglutination/parataxe dans la formation de néologismes
Le texte n° 67, chapitre 10, verset 2, nous dit :
*TRANEI-PALIR-MANITRASEI-NI
ti manivi kaprinie haudangatei
*VOIE-TEMPS-LABYRINTHE-ET
du multiple sortie cul-de-sac (prison)
soit, pour la version anglaise :
TIME’S PATH multifold LABYRINTH
way out AND dead end.
On y trouve ainsi les deux vocables :
tranéï / traséï, dont le premier, largement documenté dans le Codex espeniensis et le manuscrit LaraDansil, signifie : « passage », — ce terme, si l’on en croit Hélène Smith, devant être compris dans toutes les acceptions de son équivalent français. On trouve en effet sous sa plume :
(17) taniré mis mèch med mirivé éziné brimaξ ti tès
Prends un crayon pour tracer mes paroles de cet
tensée — azini dé améir mazi si somé iche nazina
instant. Alors tu viendras avec moi admirer notre nouveau
tranéï. — Simandini cé kié mache di pédriné tès luné ké cé
passage. Simandini, je ne puis te quitter ce jour. Que je
êvé diviné — patrinèz kié nipuné ani
suis heureux ! Alors ne crains pas !
Graphique. 12 septembre 1897 (trad. même séance).
Théodore Flournoy, Des Indes, p. 210
Mais dans le manuscrit LaraDansil et le Codex espeniensis, ce terme est quasiment toujours mis en relation avec celui de miza. Or un miza est un système de communication permettant à des voyageurs débutants (les nikaïneξ/nikaïnaξ d’Espênié) de se transférer, instantanément et sans déplacement local apparent, de l’espace-temps ou se situe notre planète à l’espace-temps qu’occupe Énantia, et vice versa. Chaque destination reliée par le miza est ainsi dotée d’une tranéï, d’un dispositif matériel que les habitants d’Énantia appellent un « passage ».
Dans le verset précédent, l’expression TRANEItiPALIR = « VOIE du TEMPS » (TIME’S PATH), se trouve cependant mis en relation avec : maniviMANITRASEI, multiple LABYRINTHE.
Or le labyrinthe, manitraséï, est un mot composé, par parataxe, de : mani, et : traséï.
— mani dérive, par alternance consonantique, de : nâmi = beaucoup (attesté chez Hélène Smith), avec aussi, dans la même famille :
mâniviréï – multitude
mânizi – multiplicité,
et bien entendu :
mânivi – multiple.
— traséï constitue en revanche un apax dans l’ensemble des textes espéniens qui se trouvent à notre disposition. Il est à noter cependant que l’alternance n/z, ou n/s, qui apparaît dans : tranéï/trazéï (traséï), se retrouve aussi dans la famille issue de :
mazi – avec
où l’on trouve
mazinié ou maziné – commun
maziniéï – communauté
maziniréï – communion, concorde
mazimiruzé – contexte (ici conjoint par parataxe à : miruzé = « texte »).
Il se trouve de plus que le texte n° 7, chapitre 2, traite lui aussi de la tranéï ti palir = la « voie du temps », employant à son sujet les termes suivants :
*LARU vini
*NI amerecruzei TRANEI ti PALIR essatisaime PI criza VE
*izazi LARA kevi PROVE palircrizakite[13] LAURA kevi TEVE crizakitepalir LARU
*KEVI palircrizakite KA
*CIDE kiepocrime ITECHE palirbrouke KA kiepocrime TOUZE kize UMEZE
*ET rencontre-carrefour VOIE de TEMPS arbre TRES fourchu
*ainsi LARA quand AVANT temps-fend LAURA quand APRÈS fend-temps LARU
*QUAND temps-fend QUI
*CELA non savoir TOUJOURS temps-briser QUI non savoir MEME quoi FAIT
Ma thèse est alors que le mot traséï, utilisé dans manitraséï = « labyrinthe », résulte d’une figure d’agglutination mettant en relation, par superposition et contiguïté, tranéï = le passage, au groupe des mots construit autour de la racine *cr()z-, où l’on trouve : criza = la fourche, cruzéï = le carrefour, etc.
Mais si la superposition de tran(éï) d’une part, de criz(éï)/cruz(éï) d’autre part, a effectivement donné : tras(éï) — avec, comme lieu de rencontre et de fusion, l’idée d’arborescence, de multiplication des couloirs (des passages), ce qui en quelque sorte constitue la marque de fabrique de tous les labyrinthes, — je me trouve en revanche, faute de références suffisamment documentées, dans l’incapacité de décider s’il s’agit là d’un néologisme inventé par le ou les auteurs du manuscrit LaraDansil, ou si MANITRASEI est le mot espénien usuel désignant ce que nous appelons quant à nous un labyrinthe (un « dédale »).
c) Agglutination/parataxe en miroir, correspondant à un enchâssement complexe
Chapitre 1, texte n° 1, dernier verset. On y trouve une agglutination en miroir qui équivaut à une structure d’enchâssement complexe :
*MAPRIVA dureepriani KEVI kotelekokotele ESSAV ti MENDECHE telekotele KEVI prianiduree VAMAPRI
*ENTRE-OÙ terre-flot QUAND commencement-fin VIE de HOMME fin-commencement QUAND flot-terre OÙ-ENTRE
avec le quintuple enchâssement :
[1 MAPRI-VA [[2 duree-priani [[[3 KEVI [[[[4 kotele-kokotele [[[[[5 ESSAV ti MENDECHE 5]]]]] tele-kotele 4]]]] KEVI 3]]] priani-duree 2]] VA-MAPRI 1]
Cette structure ne saurait être adéquatement rendue par les textes n° 3 et 5, rédigés en transcripts 3 et 2, qui nous disent seulement :
mapri duree ni prianiξ, mapri kotele ni tele,
zi essav ti zee mendecheξ.
Entre terre et flots, entre commencement et fin,
la vie des hommes.
Un jeu de parataxes permet d’autre part de distinguer, par affirmation, par simple et double négation, les deux expressions inverses :
telekotele = « fin-non-fin »
et : kotelekokotele = « non-fin-non-non-fin » (au lieu de : koteletele = « non-fin-fin »).
N.B. Le mot : tele = « fin », n’apparaît nulle part chez Hélène Smith, où l’on trouve en revanche le verbe : kalâmé = « accomplir », dans :
(40) ramié ébanâ dizênâ zivênié ni bi vraïni
Ramié lentement, profondément, étudie, et son désir
assilé né ten ti rès kalâmé astané êzi dabé né zi
immense est près de se accomplir. Astané mon maître est là
med lé godané ni ankoné évaï banâ zizazi divinée
pour me aider et réjouir. Sois trois fois heureuse !
Auditif 4 juin 1899 (trad. même séance).
— Hémisomnambulisme où Hélène, sans avoir de vision, entend une voix au timbre voilé lui adresser des paroles parmi lesquelles elle arrive avec quelque peine à saisir les phrases précédentes.
Théodore Flournoy, Des Indes…, p. 223
Le mot : télé, apparaît en revanche dans le Codex espeniensis, p. 60, où l’on peut lire :
ni téri étchée machétir ti atêv
triné é ti kavée machétirξ ti atêv
iéeξ zée machétirξ ti atêv
ti avivié tou avivié med télé
res triné zée misée inée kavée
ani kiché misé pimessipié pimessipie
ti machétirξ té atêv
triné ti umas pimessipie
é étchée machétir ti atêv
–
ani kiché misé pimessipié télériée
ti machétirξ té atêv
triné ti umas télériée
é étchée machétir ti atêv
Et comme chaque possibilité de l’être
parle à d’autres possibilités de l’être,
toutes les possibilités de l’être
de proche en proche pour finir
se parlent les unes aux autres.
C’est pourquoi une infinité infinie
de possibilités de l’être
parle de manière infinie
à chaque possibilité de l’être.
–
C’est pourquoi une infinité finie
de possibilités de l’être
parle de manière finie
à chaque possibilité de l’être.
Note. Le mot : télé, à la ligne 2, est en rapport avec télérié, lignes 10 et 12. Or télérié s’oppose clairement à pimessipié, qui, étant formé de : mess, « grand », et : pi, « très » signifie quelque chose comme : « très grand(eur) très », et par extension : « infini ». Zi télé est donc la « fin » comme affirmation du « non-infini », et il est curieux de remarquer que sur ce point l’espénien rejoint le grec.
17. Lorsque, dans le transcript 1, on passe d’un flux à l’autre, il y a simple juxtaposition graphique, bien qu’il s’agisse bel et bien là d’une parataxe orientée : il n’est pas équivalent de passer du flux principal (le verset dans son unité majuscule) à ses greffons, qui sont des indexations minuscules, et dont la signification se trouve définie, non par les rapports qu’ils entretiennent les uns avec les autres, mais par le lieu de leur implantation dans les articulations du flux principal, ou l’inverse. Car à l’intérieur de chaque verset, il n’y a pas à proprement parler parataxe entre les différents éléments du flux minuscule, qu’isole les uns des autres le fil principal du verbe.
La lecture de chaque verset se fait alors prioritairement selon le fil son déroulement majuscule, les fragments minuscules venant successivement s’enchâsser au cœur de sa continuité. Il est vrai qu’appréhender intuitivement un tel enchaînement arborescent exige de la part du lecteur une disposition mentale qui ne nous est pas familière — tributaires que nous sommes du déroulement massivement unidimensionnel de notre parole intérieure. Il est pourtant nécessaire que le lecteur, à chaque bifurcation, garde à l’esprit l’entièreté du mot-phrase majuscule globalement agglutiné dont il a pris connaissance, et simultanément parcourre les méandres des flux minuscules successifs dont les segments limités se sont antérieurement greffé au fleuve principal, qui est comme le squelette de la parole souveraine, tandis que le feuillage des différentes incises en serait l’épiderme et la musculature.
Vient s’ajouter à ce complexe cheminement de la lecture intérieure, à son difficile apprentissage surtout, le fait qu’en tout état de cause le mot-phrase principal nous demeurerait totalement incompréhensible sans l’apport des flux annexes qui, les uns après les autres, s’en échappent pourtant, car celui-ci n’est, sauf exception, nullement porteur de sens, fût-il partiel, fût-il mutilé.
[1]. Voir, en ce qui concerne ces deux œuvres :
— S-21, le second Cahier khmer, in : Onze pièces de cuivre, Bulletin de la Société des Amis d’Andenverdensmuseet, N° 6 – août 2015.
— Le Codex espeniensis, présenté, traduit et annoté et par H. Langstrøm, Endetidsforlag, Copenhague, 2016.
[2]. Hélène Smith fut toujours persuadée qu’elle entrait, au cours de ses transes, en communication avec d’authentiques habitants de la planète Mars. Nous savons aujourd’hui qu’il n’en était rien, et que les êtres humains auxquels elle s’adressait se trouvaient sur la planète que nous nommons Énantia, une sorte d’anti-terre occupant un espace-temps énantiomorphe par rapport au nôtre. La langue qu’utilisaient ces gens était, selon leurs propres dires, l’espénien — Espénié étant peut-être le nom qu’ils donnaient à leur planète, ou peut-être encore le nom d’un archipel de dimensions relativement modestes, situé à l’est d’Énantidem, la formation continentale la plus importante de cette planète aquatique, entre les provinces de Nixue et Énarrée).
[3]. La raison d’être de la présence, au sein du manuscrit, de ces trois blocs de textes strictement redondants, demeure une énigme.
[4]. De cette manière, tous les chapitres du manuscrit recourent à trois différentes graphies de l’espénien, avec, pour les transcripts 2 et 3, la répartition :
[5]. Ainsi, là où le manuscrit dit, texte n° 77 :
zi assilei dastree tie attana spikeve
« l’immensité paisible du monde étincelant »
et texte n° 79 :
* dastre * ASSILE ti attana SPIKEV
« // paix // IMMENSE de monde ÉTINCELLE »
la « version anglaise » affirme :
the peaceful hugeness of her/his everlasting world
« la paisible immensité de son monde éternel ».
[6]. Voir : Harald Langstrøm, Le parchemin LaraDansil — coïncidences et ambiguïtés. Aux Éditions de la Fin des Temps, 2027.
[7]. Le codex espeniensis ne possède ni titre, ni nom d’auteur ; et il n’est pas certain que le Cahier énantien soit dû à la plume de S-21, même si cela demeure, principe du Rasoir d’Occam oblige, l’hypothèse la plus vraisemblable.
[8]. Au cours de ce processus de pétrification, ou si l’on préfère, de fossilisation du corps humain, l’esprit de l’avaïné/avaïna se transforme par degrés en celui d’un sophos panenthéiste, une entité qui se trouve désormais projeté dans une noosphère transtemporelle, cet environnement psychique unanime qui met en communication paisible les esprits de toutes les espèces pensantes suffisamment évoluées pour connaître (en certains de leurs représentants tout au moins) une métamorphose aboutissant à leur sophronation.
[9]. Il n’est pas même possible d’affirmer qu’il s’agit là d’un système de notation symbolique de type « quasi », ou « para », ou « pseudo » scientifique, la place que les mathématiques seraient susceptible d’y occuper étant d’ailleurs impossible à définir. Nous ne savons même pas si Nael di Faella a su le déchiffrer en détails, car — et c’est là une chose d’autant plus étonnante — nous n’avons retrouvé dans ses papier aucune indication allant dans ce sens. [Note d’Helena Stang, 2039.]
[10]. Il existe à cette règle une unique exception, chapitre 11, texte n° 79, verset 8.
[11]. Il n’est pas nécessaire de savoir, pour en appréhender le sens, que « foultitude » est un mot-valise composé de : « foule », et de : « multitude » : il suffit d’y sentir une variante de : « multitude ».
[12]. On peut se demander où se trouve alors la limite entre mot « simple » (inanalysable ou inanalysé) et mot « composé ». Qu’est-ce qui en d’autres termes permet de différencier « syntagmes » et « signes » ?
[13]. Crizakite, est un mot composé qui signifie : scinder en deux (de : criza, « fourche », et : kit, « deux »).


















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