Harald Langstrøm
Version anglaise
KAKUNDASIAL
MAN isn’t ONCE, is TWICE.
MAN isn’t ALONE, is COUPLE of twins.
So Out of A SINGLE EARTH,
partaking A SINGLE FLESH,
EACH MAN is A WORLD,
EACH MAN towards HIS OWN fate marches.
Yet all stay but THE SAME man:
ALL are WE ONE and ONLY man.
The twins, sisters/brothers being,
one elder, other younger is.
The one who leads the path,
first wanderer, makes the link, shapes the world.
The one who takes the wanderer’s path
shapes no world, but either good or wrong performs,
and sometimes seeking good evil does,
and sometimes wanting evil right does.
KAKUNDASIAL
L’HOMME n’est pas UNE FOIS, mais DEUX.
L’HOMME n’est pas SEUL, mais COUPLE gemellaire.
C’est pourquoi issu d’UNE SEULE TERRE,
participant d’UNE SEULE CHAIR,
CHAQUE HOMME est UN MONDE,
CHAQUE HOMME marche vers SON PROPRE destin.
Mais tous restent LE MÊME homme :
NOUS sommes TOUS un SEUL et MÊME homme.
Des jumeaux, étant sœurs/frères,
l’une/un est plus âgée/e, l’autre plus jeune.
Celle/celui qui ouvre le chemin,
première/premier voyageur, crée le lien, façonne le monde.
Celle/celui qui emprunte le chemin du (premier) voyageur
ne façonne aucun monde, mais accomplit soit le bien soit le mal,
et parfois cherchant le bien fait le mal,
et parfois voulant le mal fait le bien.
Manuscrit 61-66
LES TEXTES
N° 61
*KAKUNDASIAL vini
*MENDECHE kie ne ani MIS iza KIS
*MENDECHE kie ne ani EREDUTE iza KISMIS kiete
*TOUZEE DUREE ame purniene TATIE TOUZEE meta ETCHI ATTANA tiv e KAVEI ETCHI
*TOUZE mendeche pove META
*IE nini mendeche TOUZE
*KAKUNDASIAL vini
*HOMME n’est pas UN mais DEUX
*HOMME n’est pas SOLITAIRE mais COUPLE jumeau
*MEME TERRE venu partageant CHAIR MEME pourtant CHAQUE MONDE va à DESTIN CHAQUE
*MEME homme demeure POURTANT
*TOUS nous homme MEME
N° 63
zie kieteξ nievene bouaξ,
ze mis ne boua avete, ze kav ne boua kinete.
pites ka fubrir zi tranei,
nievene ze prove tirpe,
bigavirie ze knitie, bigavirie mis attana.
Les jumeaux étant frères,
l’un est frère aîné, l’autre est frère puîné.
Celui qui ouvre le chemin,
étant le premier voyageur,
crée le lien, crée un monde.
N° 65
betes ka touetanire zi tranei te prove tirpe
kie bigavirie ani ti attana,
iza hede umezir ze adzie va hede umezir ze azanie,
ni limiri umezir ze azanie tou tenassiene umeze ze adzie,
ni limiri umezir ze adzie tou surene umeze ze ananie.
Celle qui emprunte le chemin du premier voyageur
ne crée pas de monde,
mais elle fera le bien ou elle fera le mal,
et parfois fera le mal en voulant faire le bien,
et parfois fera le bien en croyant faire le mal.
LES ILLUSTRATIONS
N° 64
Le visage masculin que l’on peut observer au n°64, et qui se trouve dédoublé par effet de miroir intérieur, n’est pas identique à ceux qui figurent, eux aussi dédoublés, aux n° 9 et 11 du chapitre 2.
N° 64
N° 9 (détail) N° 11 (détail)
A la différence de ce qui se passe avec Miranda et Marion (explicitement nommées dans le manuscrit), aucun de ces deux personnages n’a l’apparence (ne serait-ce que « fictive ») de Michael Fitzhubert, le double disparu de 1942 et 1950.
N° 63 et 65
N° 63
N° 65
Ces deux images sont à mettre en rapport avec les n°3 et n°5 du chapitre 1 d’une part, les n°22 et n°24 du chapitre 4 d’autre part.
N° 62 et 66. Cartes-Silhouettes
Dasial Kajun
Dasial et Kajun sont devenus des archipels — Dasial se présentant comme nettement plus fragmenté que Kajun.
Commentaires
a) Dans ce chapitre apparaissent plusieurs substantifs intrinsèquement neutres, c’est-à-dire des termes qui n’indiquent pas à quel genre grammatical (masculin ou féminin) ils appartiennent. Ainsi, le mot boua signifie indifféremment « frère » ou « sœur », et kiete vaut indifféremment pour : « jumeau » ou « jumelle ».
Mais le contexte permet le plus souvent de préciser de quel genre de frère ou de sœur, de jumeau ou de jumelle il s’agit, dans la mesure où l’on peut par exemple aisément distinguer : zé kiete = « le jumeau », de : zi kiete = « la jumelle », et : mis kiete = « un jumeau », de : misé kiete = « une jumelle ».
b) Il est clairement question, dans le texte n°63, de « celui qui fend le temps » (Michael Fitzhubert).
zie kieteξ nievene bouaξ,
ze mis ne boua avete, ze kav ne boua kinete,
soit en traduction mot à mot :
« Les jumeaux/jumelles étant frères/sœurs,
le un est frère/soeur aîné, le autre est frère/soeur puîné ».
Et si les deux jumeaux/jumelles (kieteξ) avaient été de sexe féminin, on aurait eu :
zie kieteξ nievene bouaξ,
zi mise ne boua avetee, zi kave ne boua kinetee.
Soit :
« Les jumeaux/jumelles étant frères/sœurs,
la une est frère/soeur aînée, la autre est frère/soeur puînée ».
Ainsi, les trois lignes qui suivent :
pites ka fubrir zi tranei,
nievene ze prove tirpe,
bigavirie ze knitie, bigavirie mis attana.
Celui qui ouvre le chemin,
étant le premier voyageur,
crée le lien, crée un monde.
se réfèrent elles aussi à l’homme qui, au chapitre 2, « a fendu le temps ». Ce faisant, il a divisé l’univers en deux, engendrant les « îles sœurs » de Lara et Béniel, et il s’est lui-même dédoublé en jumeaux, qui sont ici désignés comme étant des frères. Figurativement parlant cependant, et de même que Lara est « l’île aînée », Béniel « l’île puînée », le jumeau/frère qui est demeuré sur Lara est l’aîné, tandis que celui qui fit son apparition sur Béniel est le puîné.
c) Le texte n°65 s’applique de son côté à une seule femme, qui « suit le premier voyageur » :
betes ka touetanire zi tranei te prove tirpe
kie bigavirie ani ti attana,
iza hede umezir ze adzie va hede umezir ze azanie,
ni limiri umezir ze azanie tou tenassiene umeze ze adzie,
ni limiri umezir ze adzie tou surene umeze ze ananie.
Celle qui emprunte le chemin du premier voyageur
ne crée pas de monde,
mais elle fera le bien ou elle fera le mal,
et parfois fera le mal en voulant faire le bien,
et parfois fera le bien en croyant faire le mal.
Et si l’on sait que le manuscrit emploie ici le féminin singulier, c’est que l’on a :
pitès/pitêsé – « celui/ceux », et : bétès/bétêsé, – « celle/celles ».
tandis que le pronom personnel est invariable selon le nombre :
hed : « il/ils, et : hédé : « elle/elles.
S’il avait été question de deux sœurs ou de deux jumelles, on aurait eu :
betese ka touetanire zi tranei te prove tirpe
kie bigavirie ani ti attana,
iza hede umezir ze adzie va hede umezir ze azanie,
ni limiri umezir ze azanie tou tenassiene umeze ze adzie,
ni limiri umezir ze adzie tou surene umeze ze ananie.
Celles qui empruntent le chemin du premier voyageur
ne créent pas de monde,
mais elles feront le bien ou elles feront le mal,
et parfois feront le mal en voulant faire le bien,
et parfois feront le bien en croyant faire le mal.
Il s’agit donc de Jenaveve McCraw, et non du couple formé par les deux soeurs Waybourne.
Comment cependant comprendre la phrase :
elle fera le bien ou elle fera le mal,
et parfois fera le mal en voulant faire le bien,
et parfois fera le bien en croyant faire le mal.
Les êtres humains qui voyagent entre les mondes sont, nous l’avons vu, dotés d’un libre arbitre moral beaucoup plus étendu que le nôtre, puisqu’ils peuvent défaire ce qu’ils ont fait, annuler réellement des décisions qu’ils réprouvent désormais. Mais de quelle manière Jenaveve McCrew a-t-elle fait d’un côté le mal et de l’autre le bien, se trompant qui plus est dans les deux cas ?
Mon interprétation est que cette phrase se réfère à l’échange des cataclysmes entre les deux îles, « faire le mal » consistant à condamner une île à la stérilité biologique, et « faire le bien », à en sauver une autre en permettant que la vie puisse y renaître et prospérer dans l’avenir. Ainsi, Jenaveve McCraw aurait « fait le mal » en transférant la catastrophe nucléaire de Béniel en Lara, et « fait le bien » en remplaçant, sur Béniel, cette dernière par la nuée ardente issue de Lara. C’est pourquoi, voulant faire le bien (sauver Béniel) elle a dû faire le mal (condamner Lara) ; et croyant faire le mal (décider que Lara devait périr), elle aura fait le bien (permettre que la vie renaisse sur Béniel).
Il ne faut donc pas prendre le terme « parfois », dans le texte ci-dessus, dans le sens de : « une fois mais pas toujours », c’est-à-dire à l’occasion de deux actions distinctes effectuées indépendamment l’une de l’autre, mais au sens de : « qui a lieu seulement dans certains cas ».
[Comme souvent, en particulier chez Hélène Smith, le terme énantien : limiri, pour « parfois », a la même structure sémantique qu’en français, avec : « par » – li, et : « fois » – miri. La « partition » des occurrences est donc ici liée à la dualité (à la scission) des deux îles, l’événement auquel il est fait référence (l’échange des catastrophes) étant en revanche indécomposable, quoique complexe.]
Mais en raison du caractère hautement sibyllin du manuscrit, deux questions demeurent, et demeureront sans doute à jamais sans réponse :
— Comment Jenaveve McCraw a-t-elle été capable d’opérer entre les deux îles les transferts de phénomènes météorologiques d’une telle ampleur ?
— En quoi ce transfert était-il nécessaire ? Devons-nous croire que, si elle n’avait rien fait, la vie n’aurait pu subsister, puis ultérieurement refleurir sur aucune des deux îles ?
Nous pouvons en revanche, dans le cadre de cette conjecture, donner un sens à la phrase : « mais la mère qui n’est pas une mère avait besoin d’aide » (chapitre 8, n°58, dernière ligne).
Il fallait en effet, pour permettre la transhumance d’une île à l’autre, que les deux sœurs gardent ouverts les portails (tranéïξ) qui se trouvaient aux deux extrémités du passage (miza), et que Marion guide, de Kaju en Dénial, l’exode des Snoutobreξ. Quant à Jenaveve McCraw, elle est, nous dit le manuscrit (chapitre 7, n°50), elle aussi demeurée sur Lara/Kaju :
Mais la mère qui n’est pas une mère,
mais la première fille qui n’est pas une fille
ne verront pas la vie resplendir en Dénial…
d) De son côté, la version anglaise maintient explicitement l’ambiguïté grammaticale des genres en ce qui concerne les textes n° 63 et 65.
The twins, sisters/brothers being,
one elder, other younger is.
The one who leads the path,
first wanderer, makes the link, shapes the world.
The one who takes the wanderer’s path
shapes no world, but either good or wrong performs,
and sometimes seeking good evil does,
and sometimes wanting evil right does.
Des jumeaux, étant sœurs/frères,
l’une/un est plus âgée/e, l’autre plus jeune.
Celle/celui qui ouvre le chemin,
première/premier voyageur, crée le lien, façonne le monde.
Celle/celui qui emprunte le chemin du (premier) voyageur
ne façonne aucun monde, mais accomplit soit le bien soit le mal,
et parfois cherchant le bien fait le mal,
et parfois voulant le mal fait le bien.
Et il est même suggéré que les deux jumeaux seraient « celui/celle qui ouvre le chemin » d’une part, et « celle/celui qui emprunte le chemin du (de la première) voyageu(se)r » d’autre part :
The one who leads the path,
first wanderer, makes the link, shapes the world…
The one who takes the wanderer’s path
shapes no world…
Tout indique par ailleurs, nous l’avons vu, que « celui qui ouvre le chemin » est bien Michael Fitzhubert, et « celle qui emprunte le chemin du voyageur » Jenaveve McCraw. En quoi Micheal Fitzhubert et Jenaveve McCraw pourraient-ils être un couple de jumeaux ?
Il se peut que la version anglaise ait subi sur ce point l’attraction du texte n°61 qui, dans ses deux variantes, affirme une sorte d’universalité de la gémellité au sein de l’humanité tout entière.
*MENDECHE kie ne ani MIS iza KIS
*MENDECHE kie ne ani EREDUTE iza KISMIS kiete
*HOMME n’est pas UN mais DEUX
*HOMME n’est pas SOLITAIRE mais COUPLE jumeau
Le mot employé en espénien est en effet : mendèche – « homme », « être humain », un terme qui enveloppe : zé métiche ni zi médache – « l’homme et la femme ». Et l’anglais a de son côté recours l’expression imprsonnelle : « man », proche du « on » français.
MAN isn’t ONCE, is TWICE.
MAN isn’t ALONE, is COUPLE of twins.
Considéré isolément, le texte n°61 est particulièrement lapidaire et se prête à de si nombreuses interprétations que je juge inutile de m’engager en l’état sur un tel terrain. Je pense cependant que l’on doit, si l’on veut préciser sa signification, le mettre en regard des textes figurant dans le chapitre suivant.











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