CHAPITRE 7

 

 

 

Harald Langstrøm

 

 

 

 

 

Version anglaise

 

*KAJUDENIAL
*SINGLE world, which was LARA, PASSED through the gateway of DEATH. Now TWO:
*DEAD  KAJU, apart from DENIAL the DYING world.
*COME BACK to light, Denial, and under your skies SHELTER all former beauty, that of LARA, that of BENIEL.

 

Anchored in HakingRick, is a way
leading from Kaju to Denial.
Dabe Datsawima and the Snoutobrex all
took that dreadful path;
thanks to it theirs lives were saved.

 

Yet the mother, who not a mother is,
yet the elder daughter, who not a daughter is,
won’t see life blooming in Denial anew;
the younger daughter, who not a daughter is,
alone will see poignant beauty coming back into life.

 

 

 

 

*KAJUDENIAL
*Le monde UNIQUE, qu’était LARA, PASSA à travers les portes de LA MORT. Il est DEUX maintenant :
*LA MORTE KAJU séparée de DENIAL le monde MOURANT.
*REVIENS à la lumière, Denial, et sous tes cieux ABRITE toute beauté antérieure, celle de LARA, celle de BENIEL.

 

Ancrée dans Haking Rick, est une voie
qui mène de Kaju à Denial.
Les Dabe Datsawima et tous les Snoutobrex
empruntèrent cet effroyable chemin ;
grâce à lui, leurs vies furent sauvées.

 

Mais la mère, qui n’est pas une mère,
mais la fille aînée, qui n’est pas une fille,
ne verront pas la vie de nouveau s’épanouir en Denial ;
seule la fille cadette, qui n’est pas une fille,
verra cette poignante beauté revenir à la vie.

 

 

Manuscrit 45-52

 

LES TEXTES

 

N° 45

 

45

 45-3

*KAJUDENIAL vini
*LARA prove ATTANA e vrouch TRANE mizena FIMEZE voprestite KIT
*KIETRANE KAJU fimeze fimezene DENIAL UMEZETUBRE
*denial PAREZIEBERIME imizi ima VAKIZE iecenei PAREZIEDASSINIE lara BETENIS BETECIS beniel

*KAJUDÉNIAL vini
*LARA avant MONDE à travers PASSER porte MORT désormais DEUX
*NON-PASSER KAJU morte mourante DENIAL SÉPARER
*dénial PERMETTRE-REVENIR sous ciel OÙ-QUOI toute beauté PERMETTRE-GARDER lara CELLE-CI CELLE-LÀ béniel

 

N° 48

mizane li Hanging Rock, hed animine mis tranei
ka ladie ti Kaju tou Denial.
ane tes tranei ke touetanire
Dabe Datsawima ni iex zie Snoutobreξ,
ane manks e tes tranei ke ones falvene zi essav ti ieξ.

 

48

 

Passant par Hanging Rock, il existe un chemin
qui mène de Kaju en Dénial.
C’est ce chemin qu’empruntèrent
Dabe Datsawima et tous les Snoutobreξ,
c’est grâce à ce chemin que fut sauvée la vie de tous.

 

N° 50

iza zi mode ka kie ne ani mise mode,
iza zi provee chiree ka kie ne ani mise chiree,
kie vechir ani zi essav kitblire tou Denial
zi kitee chiree, ka kie ne ani mise chiree,
tubree vechir zi cenei berimene e zi essav.

 50

 

Mais la mère qui n’est pas une mère,
mais la première fille qui n’est pas une fille,
ne verront pas la vie resplendir en Dénial.
La deuxième fille, qui n’est pas une fille,
seule verra la beauté revenir à la vie.

 

 

LES ILLUSTRATIONS

 

Les illustrations de ce chapitre sont très intimement liées à celles des deux chapitres précédents, et en particulier à celles du chapitre 6.

 

N° 46 et 52. Cartes-Silhouettes

 

 46        52

Pour la première fois dans le manuscrit, la silhouette de Dénial, l’île puînée, précède celle de Kaju, l’île aînée. Ce sera le cas désormais jusqu’à la fin du manuscrit.

 

N° 47 et 51. Les deux dernières espèces de Snoutobreξ

 

 47          51

 

N° 48-50. Paysage panoramique

 

 48-50

Ce paysage, qui représente presque certainement les côtes de l’île de Kaju, est le pendant du n°38-42 du chapitre précédent.

 

N° 49. Une tranéï (par supputation)

 

 49

Pendant du n° 31, chapitre 5, cette représentation du Monolithe, principal élément du Vigelandsanlegg d’Oslo, est à mettre en intime relation avec EingAnjea, la grande œuvre graphique et poétique d’Irma Waybourne, la rescapée de Hanging Rock.

 

 

Commentaires

 

a) Dans le texte n°48 apparaît pour la première fois la mention de Hanging Rock, cette formation volcanique proche de Woodend (État de Victoria, Australie) où disparurent, le 14 février 1900, Jenaveve McCraw puis jour pour jour quarante ans plus tard, Miranda et Marion Waybourne.

Le manuscrit LaraDansil nous dit :

mizane li Hanging Rock, hed animine mis tranei
ka ladie ti Kaju tou Denial.

Passant par Hanging Rock, il existe un chemin
qui mène de Kaju en Dénial.

Mais la version anglaise, jusqu’en 2027 seule accessible à ceux qui s’intéressaient au contenu du manuscrit, maquille le nom de Hanging Rock, et affirme :

Anchored in Haking Rick, is a way
leading from Kaju to Denial.

Ancrée dans Haking Rick,
est une voie qui mène de Kaju à Denial.

Et bien que Haking Rick y soit clairement caractérisé comme étant une « voie », un « chemin », bizarrement ce terme nous semble aujourd’hui désigner le nom de Richard (« Rick ») Haking. Il se trouve en effet que le général Richard Cyril Byrne Haking, nommé en septembre 1915 à la tête du XIème Corps d’armées britanniques sur le front de la Somme (France), s’attira, en raison du profond mépris qu’il manifesta à l’égard de la vie de ses hommes lors de ses sanglantes « offensives à outrance », le surnom de Richard « le Boucher » Haking (Richard « Butcher » Haking). La haine en particulier qu’il suscita à l’occasion de la bataille de Fromelles (19 et 20 juillet 1916) — au cours de laquelle le fils aîné du colonel fut porté disparu — demeura longtemps vivace dans le cœur de nombreux Australiens.

b) La mention (antérieure à 1886) du nom de Haking Rick dans la version anglaise du manuscrit LaraDansil constitue un des nombreux anachronismes, ou si l’on préfère, un de ces étranges « paradoxes temporels » qui contribuèrent à sceller le destin de la famille Fitzhubert/Waybourne/Lumley.

Devons-nous supposer que le colonel Fitzhubert ne prêta pas attention à cette désignation, faute quoi il aurait tout fait pour dissuader son fils Patrick de s’enrôler sous les ordres de Richard « le Boucher » ? À bien considérer les choses cependant, il semble certain que, si le Colonel Fitzhubert était parvenu à la conclusion que le manuscrit se référait d’une manière ou d’une autre à son collègue officier, cela ne lui aurait pas été d’une grande aide, en raison du contexte incongru dans lequel se trouve mentionné son nom : Comment cette « voie qui mène de Kaju à Dénial », cet « effroyable chemin » qu’empruntèrent « les Dabe Datsawima et tous les Snoutobreξ », aurait-elle pu le mettre en garde au sujet du funeste destin que, trente ans plus tard, devait rencontrer son fils ?

D’ailleurs, à l’époque où Gaspar Fitzhubert faisait l’acquisition du manuscrit LaraDansil, Richard Haking était affecté au Hampshire Regiment, cantonné en Birmanie, et pour autant que le sachions, les deux hommes n’eurent jamais l’occasion de se rencontrer, leurs carrières ayant par la suite totalement divergé : tandis que Gaspar Fitshubert quittait le service de sa gracieuse majesté et s’installait à Martingale Manor, Richard Haking, revenu en Angleterre, décrochait ses galons dans divers États-Majors de l’armée britannique…

c) Il en va tout à rebours (en apparence seulement) en ce qui concerne la mention du nom de Hanging Rock dans le texte principal du manuscrit : n’ayant à sa disposition que la « traduction » anglaise du texte, ce nom aurait dû demeurer indéchiffrable au colonel, bien que celui-ci l’eut sous les yeux dans ses différentes graphies énantiennes. — Pourquoi a-t-il alors, dès 1887, décidé de s’installer à quelques kilomètres de Hanging Rock ?

Nous pouvons bien entendu supposer qu’il eut, d’une manière ou d’une autre, accès au texte original du manuscrit ; mais même si cela était avéré (ce qui est loin d’être le cas), encore faudrait-il comprendre ce qui le poussa à consacrer le reste de sa vie à réaliser aussi exactement que possible les « prédictions » contenues dans cet ouvrage, catastrophiques pour certains des futurs membres de sa famille. Ainsi, sa brusque démission de l’armée des Indes et son installation en Australie, suivies de son mariage précipité avec sa cousine germaine, constituèrent autant de tournants décisifs dont il est impossible aujourd’hui de préciser quels en furent les tenants et aboutissements personnels.

d) La mention du nom de Hanging Rock dans le texte n°48 nous permet de supposer que cette structure volcanique est (d’un manière qui nous demeure largement mystérieuse) une porte vers Énantia, et plus précisément vers les îles de Lara et Béniel. Jenaveve McCraw, disparue de 14 février 1900, ainsi que Miranda et Marion Waybourne, disparues au même endroit quarante ans plus tard, seraient donc bel et bien « la mère qui n’est pas une mère » d’une part, « les filles qui ne sont pas des filles » d’autre part. Miranda et Marion, dont les noms sont cités dans le chapitre 11 du manuscrit, sont-elles pas soeurs entre elles, sans se trouver liées par le sang à Jenaveve McCraw, qui leur fut cependant une sorte de « belle-grand-mère » officieuse.

Si cette hypothèse est avérée, le texte n°50 :

Mais la mère qui n’est pas une mère,
mais la première fille qui n’est pas une fille,
ne verront pas la vie resplendir en Dénial.
La deuxième fille, qui n’est pas une fille,
seule verra la beauté revenir à la vie.

 signifie que Jenaveve McCraw, la mère sans enfants, et Miranda Waybourne, la première fille sans mère, moururent sur Lara, tandis que Marion, la deuxième fille sans mère, trouva refuge sur l’île de Béniel (qui pour finir devint l’archipel de Dansil)[1].

Or le rôle du colonel dans cette triple disparition est absolument patent en ce qui concerne Jenaveve McCraw : c’est lui qui, en 1893, la fit activement rechercher dans toute l’agglomération de Londres, qui l’engagea comme intendante sans qu’elle présentât aucune qualification pour ce poste, et la fit venir à ses frais en Australie. La question cruciale est alors : Comment a-t-il au préalable pris connaissance de son existence — son nom ne figurant nulle part dans le manuscrit LaraDansil ?

Et comment quelques années plus tard a-t-il pris le fait que ses deux premières petites-filles fussent prénommées Miranda et Marion ? Ne serait-ce d’ailleurs pas lui qui insista auprès de leur mère pour que ces dernières fussent ainsi baptisées, les vouant en quelque sorte à endosser des rôles que le manuscrit LaraDansil ne leur prescrivait nullement par nécessité ?[2]

 

 

 

 


[1]. Dans le même ordre d’idées, rappelons que, dans le manuscrit, figurent plusieurs « portraits » des deux sœurs, quasiment identiques à ceux qu’un demi siècle plus tard, et trois ans avant leur mystérieuse disparition dans le chaos de Hanging Rock, devait réaliser leur mère. Il est vrai qu’à ce moment le colonel était mort depuis cinq ans déjà, et qu’il ne vit jamais ces énigmatiques ouvrages au point de croix — étonnants surtout en raison du fait que Sara Fitzhubert-Waybourne affirma toujours, malgré leur absence patente de ressemblance, qu’il s’agissait d’authentiques portraits de ses deux filles aînées.

[2]. Quand Gaspar Fitzhubert mourut en 1931, Miranda et Marion avaient respectivement 13 et 11 ans.