CHAPITRE 3

 

 

 

Harald Langstrøm

 

 

 

 

 

Version anglaise

 

Heavens’ fire – waters’ forge.
Waters’ burn – heavens’ hail.
When fire and hail embrace,
earth and see criss-cross.
When firebrand and watersteam melt,
earth and see split.
The fork of time is men’s outburst;
the fork of time is volcano,
is a pyroclastic.

Le feu des cieux – forge des eaux.
La brûlure des eaux – grêle des cieux.
Quand feu et grêle s’étreignent,
terre et mer échangent leurs places.
Quand tison et vapeur d’eau fusionnent,
terre et mer se séparent.
La fourche du temps est l’explosion des hommes ;
la fourche du temps est volcan,
est une nuée ardente.

 

 

Manuscrit 13-18

 

LES TEXTES

 

N° 13

 13

 13-2

*NARU vini
*IERFRIR artrire IMA iepriani SAMAMESS SAMAMESS
STALMA imodie IEPRIANI ima
*kevi IERFRIR IMODIE IMODIE IERFRIR kevi DUREE modie MODIE duree
*kevi TRIBITIE PALSMODE PALSMODE TRIBITIE kevi
DUREE modie KIESAMAMESS
*TI KLATAFRAKTERE iémendeche TI CRIZA palir
FRIMASSIRE samamess IMODIE artrire

*NARU titre
*FEU brûlure CIEL tout-flot ÉGAL-ÉGAL FORGE tourmente TOUT-FLOT ciel
*quand FEU-TOURMENTE/TOURMENTE-FEU quand  TERRE-mer/MER-terre
*quand TISON-VAPEUR/VAPEUR-TISON quand TERRE-mer NON-ÉGAL
*DE EXPLOSION tout-homme DE // FOURCHE temps //
VOLCAN égal NUÉE brûler

 

N° 16

Un texte analogue au précédent, en transcript 2 (en bas) et en transcript 3 (en haut).

 16-2

iefrir te ima stalma tie prianiξ, artrirei tie prianiξ imodie te ima.
kevi iefrir ni imodie res medine, duree ni modie res metrizie.
kevi tribitie ni palsmodi res ubrinie, duree ni modie res umezetubre.
zi criza tie palirξ ne zi klatafraktere tie mendecheξ,
zi criza tie palirξ ne mis frimassire, mise imodie krire.

Feu du ciel : forge des flots ; brûlure des flots : tourmente du ciel.
Quand feu et tourmente s’embrassent, terre et mer alternent.
Quand tison et vapeur s’unissent, terre et mer se séparent.
La fourche des temps est l’explosion des hommes,
la fourche des temps est un volcan, une nuée ardente.

 16-3

 

LES ILLUSTRATIONS

 

 On trouve d’abord, à l’extérieur des accolades imbriquées formées par les cinq éléments d’illustration, deux représentations de « l’île jumelle » de Lara/Laru/Naru originelle, dans sa scission en Lara/Shukun (l’île aînée) d’une part, en Béniel/Dansil (l’île puînée) d’autre part.

 

 14          18

N° 14 et 18

 Au n° 14, Béniel est superposée à Lara dans son état absolument initial (cf. les cartes-silhouettes chapitre 1, n° 2 et 6), et se trouve dans son état d’extension maximale ; et bien qu’elle semble s’appeler toujours Béniel, elle a déjà commencé, dans le n° 18, à sombrer dans l’océan sous l’effet du cataclysme engendré par son apparition.

 On trouve ensuite, au centre de ce triple enveloppement, une vision panoramique montrant le « feu du ciel » frappant un rivage montagneux, qui peut aussi bien être celui de Naru que de Béniel.

 16-1

N° 16

 Cette image centrale de la conflagration initiale est encadrée par deux exemplaires du même visage féminin, portant en surimpression :
au n° 15, ce qui ressemble à une nuée ardente qu’accompagne une coulée de lave
au n° 17, une sorte de champignon atomique (qui se retrouve, presque identique, au chapitre 4, n° 23).

 

 15

n° 15

17

n° 17

 23

n° 23, chapitre 4

 

Commentaires

 

a) Bien qu’analogues quant à leur signification d’ensemble, les deux versions du texte (n° 13 d’une part, n° 16 de l’autre) ont des structures grammaticales profondément différentes ; cela est dû au fait qu’on assiste à une évolution, en ce qui concerne les textes rédigés en transcript 1, vers la parataxe au détriment de l’enchâssement.

Cette tendance ne cessera de se confirmer par la suite.

 

b) Ce chapitre est principalement consacré à la définition des deux cataclysmes qui vont inégalement frapper l’île « aînée » (Naru) et l’île « cadette » (Béniel).

Il fournit par la même occasion la plus sérieuse confirmation de l’hypothèse de Nael di Faella, selon laquelle l’explosion initiale qui créa Béniel serait due, non seulement à « une rencontre de troisième type » entre deux exemplaires du même homme, mais à la superposition physique effective de « celui qui fend le temps » (Michael Fitzhubert) avec lui-même. Cette explosion initiale, qui développe ses premiers effets sur Béniel, aurait par contrecoup (ou par une sorte de choc en retour temporel) ébranlé l’île de Laru, alors qu’elle était encore Lara, comme le suggère la carte-silhouette n° 14, y déclenchant une brutale éruption volcanique.

Dans le chapitre 4, il est en effet explicitement affirmé que « la bombe », avant l’échange des catastrophes, a explosé sur l’île nouvellement créée, tandis que la nuée ardente dévastait Aru :

zi frimafraktere ka ten ti si tou Aru blubire,
zi klatafraktere ti zi burda ka atrizi riz Beniel boglateve

L’éruption qui près de moi en Aru hurle,
l’explosion de la bombe qui là-bas sur Béniel tonne

n° 22

zi klatafraktere ti zi burda ka ka ten ti si riz Beniel boglateve,
zi frimafraktere ka atruzi tou Aru blubire

L’explosion de la bombe qui près de moi sur Béniel tonne,
l’éruption qui là-bas en Aru hurle

n° 24

En même temps, le quatrième verset des deux versions du chapitre 3 affirme de manière non ambiguë :

 N° 13, Transcript 1

*TI KLATAFRAKTERE iémendeche TI CRIZA palir FRIMASSIRE samamess IMODIE artrire

*DE EXPLOSION tout-homme DE // FOURCHE temps // VOLCAN égal NUÉE brûle

N° 16, Transcripts 2 et 3

zi criza tie palirξ ne zi klatafraktere tie mendecheξ,
zi criza tie palirξ ne mis frimassire, mise imodie krire.

La fourche des temps est l’explosion des hommes,
la fourche des temps est un volcan, une nuée ardente.

Version anglaise

The fork of time is men’s outburst;
the fork of time is volcano,
is a pyroclastic.

La fourche du temps est l’explosion des hommes ;
la fourche du temps est volcan,
est une nuée ardente.

 

c) Une première différence entre les textes porte sur l’« explosion de l’homme » : il s’agit dans les versions anglaise et transcript 2 et 3 de : zi klatafraktère tié mendéchéξmen’s outburst: « l’exlosion des hommes » ; dans la version transcript 1, il est en revanche fait mention de : TI KLATAFRAKTERE iémendeche TI, « EXPLOSION DE-DE tout-homme ».

L’important est cependant qu’on ne trouve nulle part énoncée l’idée qu’il y aurait eu « explosion d’un unique exemplaire » ; bien plus, l’expression : iémendéché, « tout-homme », ne peut nullement être comprise comme signifiant qu’à cette occasion « tous les hommes » ont explosé. L’énantien dit en effet : ié, « tout », ξ, « tous », iée, toute, iéeξ, « toutes » ; « tous-hommes » se dirait par conséquent : ξmendéchéξ, et « tous les hommes » : ξ zée mendéchéξ.

On peut alors supposer que le substrat du klatafraktère, qui est zée mendéchéξ, « les hommes » formait en réalité zé ié ti mis touzé mendèche, « le tout d’un même homme », en l’occurrence « le tout du même » Michael Fitzhubert issu de deux époques différentes de sa vie.

 

d) Plus difficiles à interpréter sont en revanche les trois premiers versets des n° 13 et 16 :

N° 13, Transcript 1

*IERFRIR artrire IMA iepriani SAMAMESS SAMAMESS STALMA imodie IEPRIANI ima
*kevi IERFRIR IMODIE IMODIE IERFRIR kevi DUREE modie MODIE duree
*kevi TRIBITIE PALSMODE PALSMODE TRIBITIE kevi DUREE modie KIESAMAMESS

*FEU brûlure CIEL tout-flot ÉGAL-ÉGAL FORGE tourmente TOUT-FLOT ciel
*quand FEU-TOURMENTE/TOURMENTE-FEU quand  TERRE-mer/MER-terre
*quand TISON-VAPEUR/VAPEUR-TISON quand TERRE-mer NON-ÉGAL

N° 16, Transcripts 2 et 3

iefrir te ima stalma tie prianiξ, artrirei tie prianiξ imodie te ima.
kevi iefrir ni imodie res medine, duree ni modie res metrizie.
kevi tribitie ni palsmodi res ubrinie, duree ni modie res umezetubre.

Feu du ciel : forge des flots ; brûlure des flots : tourmente du ciel.
Quand feu et tourmente s’embrassent, terre et mer alternent.
Quand tison et vapeur s’unissent, terre et mer se séparent.

Version anglaise

Heavens’ fire – waters’ forge. Waters’ burn – heavens’ hail.
When fire and hail embrace, earth and see criss-cross.
When firebrand and watersteam melt, earth and see split.

Le feu des cieux – forge des eaux. La brûlure des eaux – grêle des cieux.
Quand feu et grêle s’étreignent, terre et mer échangent leurs places.
Quand tison et vapeur d’eau fusionnent, terre et mer se séparent.

 

 

 RV 7

 

 

Lorsqu’on compare terme à terme les deux formulations, anglaise et espénienne, de ces versets, les mettant en regard du vocabulaire « martien » d’Hélène Smith, on relève tout d’abord un certain nombre de variantes et d’ambiguïtés.

[Et je profiterai de cette occasion pour donner au lecteur un aperçu des choix que j’ai dû effectuer lorsque je m’attelai à la tâche délicate consistant à traduire le manuscrit LaraDansil.]

 Versions diverses et traduction du vocabulaire conceptuel contenu dans ces trois versets

Termes attestés chez Hélène Smith

 ima : ciel : heaven
priani : flot : water (et aussi iépriani : tout-flot, « l’océan »)
duree : terre : earth

samamess : égal (de : mess — grand, et : samâ — autant, pareillement, « de même grandeur »)
kiesamamess : inégal (« pas de même grandeur »)

 umezetubre : séparer (de umêzé – faire, et tubré – seul, « rendre seul ») : to split

Un cas de dérivation tout à fait particulier, par homonymie française

 mode : mère (attesté chez Hélène Smith)

modie : see ( !) : mer — homonyme français de « mère »
palsmodie (palsmode) : watersteam : vapeur d’eau
imodie : hail (grêle) : j’ai préféré traduire ici par « tourmente », un terme qui évoque l’idée d’« embrun », de « nuée », où l’eau, comme dans le mer (modie), se trouve à l’état liquide

Mots encore inconnus en espénien, traduction principalement effectuée à partir de la version anglaise du manuscrit

 iefrir (ierfrir) : fire : feu

stalma : forge : forge
artrirei (artrire) : burn : brûlure
tribitie : firebrand : tison

medine : to embrace : embrasser
ubrinie : to melt : unir
metrizie [kiviemizie aussi dans le codex espeniensis] : to criss-cross : échanger, alterner

 

 

RV 7

 

 

L’étude détaillée des versets fait d’autre part apparaître une structure sémantique relativement complexe :

Verset 1

*IERFRIR artrire IMA iepriani SAMAMESS SAMAMESS STALMA imodie IEPRIANI ima
iefrir te ima stalma tie prianiξ, artrirei tie prianiξ imodie te ima

*FEU brûlure CIEL tout-flot ÉGAL-ÉGAL FORGE tourmente TOUT-FLOT ciel
Feu du ciel : forge des flots ; brûlure des flots : nuée du ciel

On a, pour le transcript 1 :

FEU—CIEL (brûlure—tout-flot) = = FORGE—TOUT-FLOT (tourmente—ciel)

Avec :

FEU—CIEL = FORGE—TOUT-FLOT
brûlure—tout-flot = tourmente—ciel

 Et pour les transcripts 2-3 :

Feu du ciel = forge des flots
Brûlure des flots = tourmente du ciel

Verset 2

*kevi IERFRIR IMODIE IMODIE IERFRIR kevi DUREE modie MODIE duree
kevi iefrir ni imodie res medine, duree ni modie res metrizie

*quand FEU-TOURMENTE/TOURMENTE-FEU quand  TERRE-mer/MER-terre
Quand feu et tourmente s’embrassent, terre et mer alternent

Verset 3

*kevi TRIBITIE PALSMODE/PALSMODE TRIBITIE kevi DUREE modie KIESAMAMESS
kevi tribitie ni palsmodi res ubrinie, duree ni modie res umezetubre

 *quand TISON-RUISSEAU/RUISSEAU-TISON quand TERRE-mer NON-ÉGAL
Quand tison et vapeur s’unissent, terre et mer se séparent

Dans le verset 2, la version en transcript 1 remplace les deux verbes de la version en transcripts 2 et 3 : s’embrasser et alterner, par la même structure syntaxique. Elle place en revanche, dans le verset 3, les deux verbes de la version en transcripts 2 et 3 : s’unir et se séparer, dans des structures différentes.

Les trois verbes : s’embrasser, alterner et s’unir, s’opposent par conséquent au seul verbe : se séparer.

 D’autre part la totalité des deux couples : FEU-TOURMENTE/TOURMENTE-FEU, et : TISON-VAPEUR/VAPEUR-TISON appartient au flux linguistique principal (majuscule), tandis que les deux derniers (qui en réalité n’en font qu’un) se répartissent entre les deux flux (majuscule et minuscule) : TERRE-mer/MER-terre, et : TERRE-mer NON-ÉGAL.

Ainsi, le couple terre/mer se trouve confronté aux deux couples : FEU-TOURMENTE et TISON-VAPEUR. Il n’en allait pas de même dans le verset 1, où le couple : feu-tourmente était univoquement attribué au ciel, tandis que le couple : forge-brûlure (et non tison-vapeur) concernait le seul océan.

 

 

 RV 7

 

 

Il est ici tout du long question des rapports qu’entretiennent la terre et la mer (ce à quoi bien entendu on peut s’attendre lorsqu’il s’agit d’îles et d’archipels) ; mais terre et mer apparemment, en certaines circonstances, « échangent leurs places », « alternent », « s’unissent », tandis qu’en d’autres temps, elles « se séparent ». Or quand « tison et vapeur s’unissent », « terre et mer alternent », tandis que lorsque « feu et tourmente s’embrassent », elles « se séparent ». Comment des causes présentées comme similaires peuvent-elles entraîner des effets apparemment contraires ?

Remarquons tout d’abord que cette opposition entre alternance et séparation de la terre et de la mer est à mettre en regard avec ce que nous dit le chapitre 1 du manuscrit (n° 1, 3 et 5), au sujet du commencement et de la fin (des temps) :

*LARA vini
*RIZKEVI kotele DUREE priani VA
*RIZKEVI tele PRIANI duree VA
*MAPRIVA dureepriani KEVI kotelekokotele ESSAV ti MENDECHE telekotele KEVI prianiduree VAMAPRI

 *LARA
*SUR-QUAND commencement TERRE flot OÙ
*SUR-QUAND fin FLOT terre OÙ
*ENTRE-OÙ terre-flot QUAND commencement-fin VIE de HOMME fin-commencement QUAND flot-terre OÙ-ENTRE

in kotele zi duree, ni zi duree riz zee prianiξ.
in tele zee prianiξ, ni zee prianiξ riz zi duree.
mapri duree ni prianiξ, mapri kotele ni tele,
zi essav ti zee mendecheξ.

Au commencement la terre, et la terre sur les flots.
A la fin les flots, et les flots sur la terre.
Entre terre et flots, entre commencement et fin,
la vie des hommes.

L’alternance entre : la terre sur les flots, et : les flots sur la terre, concerne le commencement et la fin. « Entre terre et flots, entre commencement et fin », il y a en revanche : « la vie des hommes » ; cette vie correspond, comme dans la Genèse, à la séparation de la terre et des eaux (bien que l’existence des « eaux du haut » et des « eaux du bas » ne soit nulle part mentionnée par le manuscrit).

 

 

 RV 7

 

 

Cependant, la nuée ardente et la coulée de lave qui dévastent les îles jumelles de Lara et Béniel ne se situent pas explicitement au début et à la fin des temps. S’agit-il d’ailleurs bien d’une nuée de type pyroclastique ? Ceux-ci sont causés par des gaz sous haute pression et des laves surchauffées, et n’impliquent nullement la présence de vapeur d’eau, comme c’est le cas pour la nuée vaporeuse dont il est question dans le chapitre 3, et que la version anglaise qualifie même de vapeur d’eau (watersteam).

Il est donc plus conforme à la lettre du manuscrit de supposer que l’« explosion » initiale ne fut pas une nuée ardente, mais que, comparable à la détonation d’une bombe (textes n° 22 et 24), elle amalgame dans sa fournaise soudaine « feu et tourmente », « terre et mer » ; je serai ainsi enclin à penser, comme l’affirme Nael di Faella, et bien qu’elle ait a des apparences d’explosion nucléaire, qu’il s’agit plutôt de la rencontre, « à la fourche des temps », de Patrick Fitzhubert avec lui-même.

Il est en revanche certain que cette explosion fut immédiatement suivie d’une éruption volcanique, la coulée de lave, atteignant la mer (comme cela se devine dans l’illustration n° 15 ci-dessus), produisant d’intenses jets de vapeur (ce couple tison/vapeur supposant le maintien — ou la réapparition — de la séparation entre d’une part les « eaux du bas » et de « la terre au-dessus des eaux » d’autre part).

 

 

 RV 7