CHAPITRE 2

 

 

 Harald Langstrøm

 

  

 

Version anglaise

 

The path of time –
crossroads and encounters;
the path of time – a plentyforked tree.
So Lara, when time splits, Larua;
so Larua, when time has split, Laru.
Who splits time? This no one says:
he who splits time don’t himself knows
what he has done.

Le sentier du temps –
carrefours et rencontres ;
le sentier du temps – un arbre très-fourchu.
Ainsi Lara, quand le temps se fend,  Larua ;
ainsi Larua, quand le temps s’est fendu,  Laru.
Qui fend le temps ? Cela, personne ne le dit :
celui qui fend le temps ne sait pas lui-même
ce qu’il a fait.

 

Manuscrit 7-12

 

 

LES TEXTES

 

N° 7

 7

 7 Lettres latines

*LARU vini
*NI amerecruzei TRANEI ti PALIR essatisaime PI crizaVE
*izazi LARA kevi PROVE palircrizakite LAURA kevi TEVE crizakitepalir LARU
*KEVI palircrizakite KA
*CIDE kiepocrime ITECHE palirbrouke KA kiepocrime TOUZE kize UMEZE

*ET rencontre-carrefour VOIE de TEMPS arbre TRES fourchu
*ainsi LARA quand AVANT temps-fend LAURA quand APRÈS fend-temps LARU
*QUAND temps-fend QUI
*CELA non savoir TOUJOURS temps-briser QUI non savoir MEME quoi FAIT

 

N° 9 et N° 11

 9-1

zi tranei ti ze palir amerei ni cruzei,
zi tranei ti ze palir essatisaime picrizav.
izazi Lara kevi ze palir res crizakite Larua,
izazi Larua kevi ze palir e nie crizakitev Laru.
ka e broukev ze palir. cide kiemendeche pocrime,
pites ka brouke ze palir ke pocrime ani touze tes ke hed umeze.

La voie du temps rencontre et carrefour ;
la voie du temps arbre très-fourchu.
Ainsi Lara, quand le temps se fend, Larua ;
ainsi Larua, quand le temps a été fendu, Laru.
Qui a brisé le temps ? Cela, nul ne (le) sait,
celui qui brise le temps ne sait pas même ce qu’il fait.

 11-1

 

Commentaires

 a) Une fois de plus, les trois textes du manuscrit disent à peu près la même chose, en sorte que le texte n° 7, dont la structure est enchâssée, s’analyse assez facilement par comparaison avec celui qui figure aux n° 9 et 11, et dont la structure grammaticale nous est beaucoup plus familière.

A la dernière ligne des deux versions, on observe ainsi un basculement dans l’usage des négations, le verbe principal étant, dans la version en transcript 1, non pas pocrime « savoir », mais kiepocrime « ignorer »  (non-savoir).

Et la version en transcript 1 ne comporte pas le membre de phrase – qui est pourtant la réponse à la question : « Qui a brisé le temps ? » : cide kiemendeche pocrime, « cela nul ne (le) sait », rendu par la version anglaise : This no one says, « cela nul ne (le) dit ».

 b) Il y a d’autre part une légère différence de point de vue temporel entre les textes du manuscrit et leur « traduction » anglaise. On a en effet :

Version en transcript 1

palirbrouke KA kiepocrime TOUZE kize UMEZE
temps-briser QUI non-savoir MÊME quoi FAIT

Version en transcripts 2 et 3

pites ka brouke ze palir ke pocrime ani touze tes ke hed umeze.
celui qui brise le temps ne sait pas même ce qu’il fait.

Version anglaise :

he who splits time don’t himself knows what he has done.
celui qui fend le temps ne sait pas lui-même ce qu’il a fait.

 Tous les énoncés établissent en revanche la même distinction de points de vue temporels au sein du processus désigné comme le « bris », ou la « fission » du temps. On peut en effet privilégier soit le moment où le temps se fend : alors Lara devient Larua – soit le moment où le temps, désormais fendu, est (définitivement) brisé : alors Larua est devenue Laru – le terme intermédiaire « Larua » caractérisant l’instant de la rupture menant de Lara à Laru.

[Remarquons que le texte en transcript 1 dit : Laura, et non : Larua. Ainsi le nom qui sert à désigner l’événement crucial (l’instant de la scission), n’a pas de forme fixe, et contient seulement l’ensemble des lettres permettant de composer les deux désignations stables de Lara et Laru.]

 c) Là où la version anglaise utilise le seul : to split, « fendre », « diviser », le manuscrit a recours aux deux verbes : brouke, « briser », et : crizakite, « fendre », « bifurquer », ce dernier composé de : criza, fourche, et : kit, deux. Le manuscrit met ce verbe en rapport direct avec l’adjectif : pikrisav (transcripts 2 et 3) / PIkrisaVE (transcript 1), très-fourchu / TRÈS-fourchU – cette différence graphique n’étant pas audible si le « e » final de : PIkrisaVE est muet). Relevons cependant que, fait exceptionnel, une suite de lettres à cheval sur les deux niveaux de langue du transcript 1 forment un seul et unique mot en transcripts 2 et 3.

Mais outre le fait que la version anglaise n’emploie que le verbe to split, « fendre », le verbe brouke, « briser », bien qu’il n’entretienne aucun rapport lexical avec crizakite, a un sens suffisamment proche pour qu’il se substitue à lui dans certaines des trois versions du texte.

Dans la version en transcript 1 d’autre part, le passage de présent au passé et de l’actif au passif s’accompagne d’une inversion de termes :

PROVE palircrizakite : « AVANT temps-fendre » = ze palir res crizakite : « le temps se fend »,

et :

TEVE crizakitepalir : « APRÈS fendre-temps » = ze palir e nie crizakitev : « le temps a été fendu ».

En revanche, là où le transcript 1 dit :

KEVI palircrizakite KA : « QUAND temps-fend QUI »,

on trouve en transcripts 2 et 3 le passé :

ka e broukev ze palir. : « Qui a brisé le temps » ?

 d) Le mot zi tranéï, qui figure au tout début du texte, revêt, dans le manuscrit LaraDansil, une extrême importance.

Quel que soit le contexte, zi tranéï (substantif féminin) signifie proprement : « la voie » (the path), ou encore « le chemin, le passage ». Il s’agit du verbe substantivé : trané, « passer ». Dans le manuscrit, et aussi dans le Codex espeniensis et l’œuvre graphique de S-21, zi tranéï (« la porte ») est régulièrement associée à zé miza, « le portail ». Or ce sont principalement les mizaξ qui ouvrent des « voies » permettant de « passer » de notre univers à celui d’Énantia (et inversement).

Dans le cas présent, TRANEI ti PALIR (transcript 1) / zi tranéï ti zé palir (transcripts 2 et 3) désignent le flux du temps qui, parvenu à un carrefour, à une « rencontre », se fend, ou plus exactement, « fourche », « se divise en deux », « bifurque ». Nael di Faella m’a communiqué, en ce qui concerne cet événement exceptionnel que le manuscrit place à l’origine des catastrophes jumelles qui ont ravagé les îles de Lara et de Béniel, l’hypothèse suivante : Celui qui fend le temps (Michael Fitzhubert) se serait, en un certain point et à un certain moment de l’espace-temps, rencontré lui-même en Énantia. Il a en effet disparu par deux fois de la terre, et ce à 8 ans d’intervalle, la durée de sa présence dans notre référentiel ordinaire étant de 6 ans seulement (on ne trouve nulle trace de sa présence sur terre de 1942 à 1944).

Si à l’issue de sa seconde disparition (celle de 1950) il s’est rendu sur Énantia à l’endroit même et à l’instant même où il se proposait de revenir vers l’île de Starbuck en 1944, et si quelque chose a provoqué à cette occasion, non sa duplication en deux avatars distincts, mais la réunion de deux exemplaires du même être en un seul lui-même, on aurait bien dans un tel cas de figure une « rencontre au carrefour ».

 

 

LES ILLUSTRATIONS

 

 

N° 8 et N° 12

 

 8          12

L’île de Laru, anciennement Lara, a déjà légèrement diminué de surface. Ces deux cartes-silhouettes sont, comme dans le chapitre précédent et sous l’effet de la duplication de l’espace-temps, disposées « en miroir ».

 

N° 10

 10

Ce grand tableau central représente le naufrage d’une armada et/ou une bataille navale, dans une ambiance d’incendie et/ou de tempête. Cette image se superpose au visage du n° 4, et à quatre signes appartenant au transcript 1 (au centre et en haut), à deux variantes du transcript 2 (au milieu et à droite et à gauche) et au transcript 3 (au centre et en bas).

 10-1

Trois de ces signes indiquent le pluriel et, pour celui du transcript 1, la pluralité des colonnes au sein d’un même verset. La multiplicité dont il est ici question est sans doute celle de « l’arbre très-fourchu » que trace la « voie du temps ».

Et le naufrage (ou la bataille navale) qui frappe la flotte de migration (symbolisée dans le n° 4 par une jonque, ici par des vaisseaux de haut bord) signifie que le passage (zi tranei) d’une île à l’autre à travers la « fourche du temps », se fait au prix de l’annihilation quasi-totale de l’île originale, et de la destruction d’une importante partie de la flotte. Or ce sauvetage en catastrophe s’opère grâce à l’intervention conjointe des deux filles « qui ne sont pas des filles », Miranda et Marion Waybourne.

 

N° 9 et N° 11

 9

 

11

On observe maintenant deux fois deux exemplaires du même visage, disposé en « double miroir ». La version « ignée » (à dominante rouge) de ce personnage masculin contient la représentation d’un navire de haut bord plongé dans une atmosphère de nuée ardente, tandis que l’autre version, à dominante verte, ne donne à voir, sous un entrelacs de lignes tourmentées, rien de bien distinct.

 

 9 detail          11 detail

Ces visages se conforment au code de couleurs déjà présent dans les paysages n° 3 et 5, qui représentaient l’île de Lara/Laru, « avant » et « après » le départ de l’arche (ou plus exactement de la flotte de migration) quittant Lara (l’île promise à la destruction) pour Dansil (la terre promise… au-delà de la nuée ardente qui va malgré tout la frapper).

Il est en revanche plus difficile de mettre ce visage masculin en rapport avec les textes qui l’accompagnent directement. Sans doute s’agit-il de « celui qui brise le temps », Michael Fitzhubert.

Mais le manuscrit n’indique-t-il pas en l’occurrence à son sujet : « Qui a brisé le temps ? – Cela, nul ne (le) sait » ? J’aurais quant à moi tendance à penser que cette affirmation signifie que les trois femmes (y compris la « mère qui n’est pas une mère », Jenaveve McCraw) n’ont jamais su qui avait provoqué la catastrophe ayant mené à la destruction de Lara.