CHAPITRE 1

 

 

 Harald Langstrøm

  

 

 

Version anglaise

 

In the beginning rocks were,
and the rocks upon the waters.
Between rocks and waters,
between beginning and end –
people’s life.

Au commencement étaient les rocs,
et les rocs au-dessus des eaux.
Entre rocs et eaux,
entre commencement et fin –
la vie des gens.

 

 

Manuscrit 1-6

 

 

LES TEXTES

 

N° 1

 1

1-1

*LARA vini
*RIZKEVI kotele DUREE priani VA
*RIZKEVI tele PRIANI duree VA
*MAPRIVA dureepriani KEVI kotelekokotele ESSAV ti MENDECHE telekotele KEVI prianiduree VAMAPRI

*LARA titre
*SUR-QUAND commencement TERRE flot OÙ
*SUR-QUAND fin FLOT terre OÙ
*ENTRE-OÙ terre-flot QUAND commencement-fin[1]
VIE de HOMME fin-commencement QUAND flot-terre OÙ-ENTRE

 

N° 3 (Transcript 3) et N° 5 (Transcript 2)

 

3-2

in kotele zi duree, ni zi duree riz zee prianiξ.
in tele zee prianiξ, ni zee prianiξ riz zi duree.
mapri duree ni prianiξ, mapri kotele ni tele,
zi essav ti zee mendecheξ.

Au commencement la terre, et la terre sur les flots.
A la fin les flots, et les flots sur la terre.
Entre terre et flots, entre commencement et fin,
la vie des hommes.

 5-2

 

Commentaires

a) Les trois textes du manuscrit disent à peu près la même chose, le texte n° 1 différant cependant assez profondément des deux autres en raison de sa structure syntaxique.

Celle-ci est de type enchâssée, avec l’analyse :

*[SUR-(QUAND : commencement) TERRE (flot : OÙ)],
soit :
(QUAND ? commencement) TERRE SUR (OÙ ? flot)
AU commencement TERRE SUR flot

*[SUR-(QUAND : fin) FLOT (terre : OÙ)],
soit :
(QUAND ? fin) FLOT SUR (OÙ ? terre)
A LA fin FLOT SUR terre

* ENTRE[(OÙ terre-flot) (QUAND commencement-fin)
VIE de HOMME (fin-commencement QUAND) (flot-terre OÙ)]ENTRE
soit :
ENTRE (VIE de HOMME) ENTRE
QUAND ? : commencement-fin / fin-commencement
OÙ : terre-flot / flot-terre.

La VIE de l’HOMME,
ENTRE la fin et le commencement,
ENTRE la terre et le flot.

b) On trouve dans le texte strictement répété aux n° 3 et 5, l’expression : « ti zee mendecheξ», soit littéralement : « de les hommes », au lieu de la forme régulière : « tié mendecheξ», « des hommes ». Cette irrégularité se rencontre aussi dans le Codex espeniensis, page 11, avec : « ti zé mendèche », « de le homme », au lieu de : « té mendèche », mot à mot : « du homme ».

c) La version anglaise omet le deuxième verset, et présente, par rapport au manuscrit, quelques variantes de détail :

– « La terre » (« zi duree ») devient : « Les rocs » (« rocks »).
– « Les flots » (« zee prianiξ ») deviennent : « Les eaux » (« the waters »).
– « La vie des hommes » (« zi essav ti zee mendecheξ ») devient : « La vie des gens » (« people’s life »).

 

 

LES ILLUSTRATIONS

 

 

2          6

N° 2 et N° 6

Les n° 2 et n° 6 nous offrent de Lara, la grande île qui s’abîmera bientôt sous les flots, des représentations en miroir. L’île est vue par deux fois dans son extension maximale, c’est-à-dire juste avant que débute le processus menant à sa destruction presque totale.

 

3-3

5-3

N° 3 et 5

L’illustration n° 3 représente, comme vu à travers une lentille déformante, un paysage marin superposant ciel, terre et mer, et dans lequel apparaissent déjà les prémices d’un désastre atmosphérique. Un navire qui ressemble à une jonque, au premier plan à droite, suggère qu’une traversée (un exode) est imminent. En surimpression, on distingue difficilement la silhouette plus claire de l’île telle que représentée au n° 2.

L’illustration n° 5, symétrique de la précédente, représente un paysage marin nettement moins distinct que le précédent, observé à travers l’ouverture d’une caverne ou d’une conduite souterraine. Doit-on y voir une représentation de ce qui arrivera peu avant la fin (« les flots sur la terre »), l’illustration n° 3 renvoyant quant à elle, non au commencement strict (« la terre sur les flots »), mais à un épisode antérieur de la catastrophe frappant « la vie de l’homme » (en l’espèce, la tentative de migration vers des cieux plus cléments) ? Dans le second paysage, aucune embarcation n’est plus visible, tandis que la forme de l’île (telle que figurée au n° 6) y est là imprimée comme en filigrane.

 

4

N° 4

Enfin, l’illustration n° 4 nous montre le premier des nombreux visages qui apparaissent sur le manuscrit. Il s’agit d’un visage féminin aux yeux vides, que l’on retrouve au chapitre 8, n° 58, et sans doute au chapitre 2, n° 10, et au chapitre 4, n° 24.

 

10

  n° 10 

58

n° 58

24

n° 24

 Dans le n° 4, ce visage est superposé à l’image d’une sorte de jonque ; or c’est « la fille puînée » qui, après avoir fui Lara, permettra que renaisse la vie sur Dansil (voir à ce sujet les textes des chapitres 7 et 8, ainsi que le chapitre 11). On ne sait pas cependant s’il s’agit là d’un avatar de la « fille puînée qui n’est pas une fille » (Marion Waybourne), ou au contraire d’un avatar de la « fille aînée qui n’est pas une fille » (Miranda Waybourne), comme le suggère le fait que nous sommes dans le cas présent confrontés à un masque mortuaire.

En effet, un code de couleur associe, tout au long du manuscrit, les tonalités rouge/orange à la survivante du désastre (Marion, la fille puînée), et les tonalités bleu/vert à celle qui s’est sacrifiée (Miranda, la fille aînée). On trouve d’ailleurs déjà ce code dans les illustrations n° 3, à dominante verte, et n° 5, à dominante rouge. Or le regard vide du masque mortuaire figurant aux n° 4 et 58, plutôt de teinte jaune/orange se retrouve en toile de fond dans les n° 10 et 24, le premier étant, par sa couleur, clairement associé à Marion, et le second à Miranda.

Une autre hypothèse, beaucoup plus vraisemblable, est que nous avons en l’occurrence affaire à la « mère qui n’est pas une mère » (Jenaveve MacCraw) ; celle-ci, d’une mystérieuse façon, aurait joué le rôle d’une sorte d’exploratrice, de pont, d’ambassadrice auprès de ses deux « filles qui ne sont pas des filles ».

 

 

 


[1]. Et plus exactement : « non-fin/non-non-fin », le mot tele signifiant « fin », et le préfixe ko valant pour une négation.