EingAnjea : la quadrature du cercle

 

 

 

 

Harald Langstrøm

 

 

 

 

6-sombrer-sous-le-poids-de-sa-propre-cargaison

 

 

 

EingAnjea comprend six poèmes correspondant aux 2 x 3 = 6 saisons de l’année définies par Merriblinte — cette correspondance étant attestée par la présence de leur blason à la fin de chacun d’entre eux —, et un poème « central » (noté 0) qui se trouve en quatrième place, c’est-à-dire au cœur des trois autres couples de poèmes, complémentaires deux à deux selon l’ordre en miroir : 3-4, 2-5, 1-6, avec la succession :

1-2-3 | 0 | 4-5-6,

qui correspond, lorsqu’on se réfère à la terminologie de Merriblinte, la succession :

Orchidée—Acacia—Chèvrefeuille | Lunèbre = Témières | Lilas—Perce-neige—Eucalyptus,

ou encore, en ce qui concerne le déroulement du cycle annuel :

Septembre/octobre – novembre/décembre – janvier/mi-mars –
– (équinoxe d’automne)équinoxe de printemps
– août/mi-juillet – mi-juillet/juin – mai/mi-mars.

 1. Il y a donc, dans EingAnjea, quatre grands poèmes doubles, le poème central étant à lui-même sa propre image énantiomorphe (soit, en ce qui concerne le cycle circadien : l’interface nuit/jour = témières, crépuscule du matin, confondu avec l’interface jour/nuit = lunèbre, crépuscule du soir).

2. Chaque poème simple est d’autre part composé de 9 parties (ou faces) représentant la surface de trois couches de 32 = 9 éléments du cube total, chaque trio de faces étant orienté selon l’une des trois dimensions fondamentales de l’espace.

3. Et chacun des cubes représentant les 7 poèmes simples est composé de 33 = 27 cubes élémentaires, les 26 cubes extérieurs étant soit uniformément clairs (lumière/jour/saison chaude) soit uniformément foncés (ténèbre/nuit/saison froide), tandis que le cube central superpose ces deux intensités dans une teinte de gris moyen (lunèbre jour/nuit = témière nuit/jour).

 

   

 17-entre-chiens-et-loups

 

 

 

Le grands poèmes doubles

 

 

Chacun des sept poèmes d’EingAnjea correspond à une vie parallèle (ou peut-être serait-il plus juste de dire : à une vie mythique) qu’aurait menée les deux femmes, dans un passé, un présent, un futur, ou encore dans ce qui serait à la fois un passé et un futur parallèles. Et l’unique présent dont il est question ici, le seul qu’il soit possible de dater avec une quelconque précision, correspond à l’existence qu’Irma, mystérieusement unie à Ève en un être bicéphale appelé EingAnjea = AnjEigana, aurait vécu durant les trois jours de sa disparition de Hanging Rock, entre le 14 et le 17 février 1940.

Ces vies parallèles sont, selon l’ordre de présentation des poèmes choisi par Irma :

  1. Dans un passé relatif : Là-bas comme ici. Aux abords de Stonehenge : une vie parmi les dieux et les prêtresses.
  2. Dans un avenir relatif : Danse des mortes au point du jour. Aux pieds de la tour Eiffel : un drame d’amour dans les charpentes de fer.
  3. En des temps très lointains : A rebrousse larmes. Une vie dans l’archipel de feu.
  4. Dans le temps présent/Dans le Temps du Rêve : Sans substance absolument. A Hanging Rock : une vie dans les limbes.
  5. À l’origine même du temps : Sculpté sur le ciel pour tes lèvres. Au fond d’une vallée/aux abords d’une épave : l’agonie et la renaissance du monde, aux antipodes de tous les temps assignables.
  6. Dans un passé lointain : Par le retour compliqué du semblable. Une vie tragique dans des serres de pierre.
  7. Dans un avenir lointain : Sur de plus vastes terres. Au Vigelandspark : une vie de solitude parmi les gisants.

On obtient ainsi, conformément au cercle des saisons de Merriblinte, devenu le cycle de la grande année dans un univers soumis à l’éternel retour du semblable, la séquence chronologique :

Première et dernière vie – 3. Une île volcanique [« L’archipel de feu »] : A rebrousse larmes.

Une vie passée relativement lointaine – 1. Stonehenge : Là-bas comme ici.

Une vie passée relativement récente – 5. Dans d’immenses serres : Par le retour compliqué du semblable.

Vie actuelle [Une vie dans le Temps du Rêve] – 0. Hanging Rock : Sans substance absolument.

Une vie future relativement proche – 2. Aux pieds de la tour Eiffel : A rebrousse larmes.
…Une vie future relativement lointaine – 6. Vigelandspark : Sur de plus vastes terres.

À l’origine et à la fin des mondes – 4. Vallée/épave [« Aux antipodes du temps »] : Sculpté sur le ciel pour tes lèvres.

*

Cette séquence chronologique fait ressortir une sorte d’équilibre temporel prévalant au sein de trois doublets encadrant la « vie présente »/la « vie dans le Temps du Rêve » :

– Premier double grand poème :
a) Première et dernière vie – 3. Une île volcanique [« L’archipel de feu »] : A rebrousse larmes.
b) Une vie aux extrêmes du monde – 4. Vallée/épave [« Aux antipodes du temps »] : Sculpté sur le ciel pour tes lèvres.

– Deuxième double grand poème :
a) Une vie passée relativement lointaine – 1. Stonehenge : Là-bas comme ici.
b) Une vie future relativement lointaine – 6. Vigelandspark : Sur de plus vastes terres.

– Troisième double grand poème :
a) Une vie passée relativement récente – 5. Dans d’immenses serres : Par le retour compliqué du semblable.
b) Une vie future relativement proche – 2. Aux pieds de la tour Eiffel : A rebrousse larmes.

– Quatrième poème, qui est en quelque sorte à lui-même son propre double :
Vie actuelle – 0. Hanging Rock : Sans substance absolument.

Or cet arrangement correspond à la séquence doublement circulaire de Merriblinte :

 

c-6-cercle-deinganjea-2

 

avec la « succession chronologique » suivante (en se déplaçant, sur la figure ci-dessus dans le sens des aiguilles d’une montre) :

… 6. Eucalyptus / 0. Témière = Lunèbres / 1. Orchidées … 2. Acacias … 3. Chèvrefeuille / 0. Lunèbres = Témières / 4. Lilas … 5. Perce-neige … 6. Eucalyptus … / 0. Témière = Lunèbres / 1. Orchidées …

soit :

… 6. Sur de plus vastes terres / 0. Sans substance absolument /
[1. Là-bas comme ici … 2. Danse des mortes au point du jour … 3. A rebrousse larmes / 0. Sans substance absolument / 4. Sculpté sur le ciel pour tes lèvres … 5. Par le retour compliqué du semblable … 6. Sur de plus vastes terres]
/ 0. Sans substance absolument / 1. Là-bas comme ici … 

 

 

10-mourir-damour

 

 

À la circularité du cycle de la grande année cosmique se superpose le fait que la structure des sept poèmes se conforme à deux différentes succession des 9 « faces » (6 extérieures, notées de 1 à 6, 3 intérieures, notées de 7 à 9) des cubes qui les représentent :

a) Pour les poèmes situés dans une temporalité « ordinaire » :

Ordre des « faces » : 9 – 1/3/5 – 7 – 2/4/6 – 8.

Vie passée relativement lointaine – 1. Stonehenge : Là-bas comme ici.
Vie future relativement lointaine – 6. Vigelandspark : Sur de plus vastes terres.

Vie passée relativement récente – 5. Dans d’immenses serres : Par le retour compliqué du semblable.
Vie à venir relativement proche – 2. Aux pieds de la tour Eiffel : A rebrousse larmes.

b) Pour les poèmes situés dans une temporalité autre [à proximité ou dans le Temps du Rêve ?] :

Ordre des « faces » selon les trois orientations spatiales du cube : 4/7/3 – 2/8/5 – 1/9/6.

Première et dernière vie – 3. Une île volcanique [« L’archipel de feu »] : A rebrousse larmes.
Vie aux extrêmes – 4. Vallée/épave [« Aux antipodes du temps »] : Sculpté sur le ciel pour tes lèvres.

Vie actuelle [dans le Temps du Rêve] – 0. Hanging Rock : Sans substance absolument.

lemniscate-ouvert

Flèche rouge : sens de déroulement du temps « ordinaire »
En mauve : les quatre poèmes se déroulant dans une temporalité « ordinaire », encadrant le « présent autre » de Hanging Rock.
En jaune : les trois poèmes se situant dans une temporalité autre, les poèmes 3 et 4 formant couple et se situant aussi bien dans le passé que dans l’avenir du « présent ».

[Le schéma ci-dessus correspond à une simple mise en perspective temporelle relative des sept vies des deux amantes, et il est absolument exclu, même en ce qui concerne les quatre vies se déroulant dans un flux temporel « ordinaire », de les faire figurer dans une quelconque chronologie absolue. Ainsi, la vie dans des serres de pierre n’est que symboliquement rattachée aux serres royales de Bruxelles et ne s’est certainement pas déroulée, au cours du XIXème ou XXème siècle de notre ère, dans l’Europe que nous connaissons.

Ève de Poitiers s’élevait d’ailleurs véhémentement contre de telles idées : les vies parallèles qu’elle aurait menées aux côtés d’Irma se rattachent selon elle à des temps et des lieux situés en deçà ou au-delà de ceux qui servent de cadre à la trame de notre histoire ; il était à ses yeux beaucoup plus parlant de mettre en rapport ces sept vies avec les sept saisons de la grande année de Merriblinte.]