EingAnjea — AnjeiNgana

 

 

Raymond Lumley

 

 

 

 

 

metieres-lunebre

Métière = Lunèbres

 

 

 

 

EingAnjea est un recueil de poèmes utilisé par Irma Waybourne et Ève de Poitiers en tant que support mnémotechnique leur permettant d’accéder à la perception (à la remémoration ?) de quelques unes de leurs vies parallèles, menées sous les noms d’Eingana (pour Irma Waybourne) et d’Anjea (pour Ève de Poitiers). Dans ce recueil, le personnage d’Eingana est universellement associé à des couleurs foncées et à l’obscurité, tandis que celui d’Anjea s’y voit assigner la polarité du blanc et de la lumière – ce couple de contraires étant issus, un peu à la manière du yin et du yang, d’un même état originaire de confusion ontologique dans lequel la lumière figure en tant que lunèbres = témière, et les ténèbres en tant que mière = lunèbres.

 

titre-1-anjeingana

AnjeiNgana (AnjEingana), emblème de titre des poèmes ésotériques en anglais

 

 

La version anglaise de ces poèmes avait pour titre : Anjei-N-gana, devenu dans la version française : Eing-A-njea, alors que le « nom d’auteure » (ou le nom des auteures) est dans les deux cas : Irm-È-ve. On aura reconnu là des mots valises, qu’Ève de Poitiers appelait aussi des « éponymes accouplés »[1].

 

EingAnjea - Titre

EingAnjea, emblème de titre des poèmes ésotériques en français

 

 

Voici ce que me répondit Ève de Poitiers, après que je lui eus fait part de la perplexité que suscitait en moi la comparaison des deux « emblèmes de titre » correspondant aux versions anglaise et française d’EingAnjea.

Raymond Lumley – Je comprends pourquoi, dans ces titres, les noms accouplés : EingAnjea et AnjeiNgana, échangent leur éléments constitutifs. Dans le cas de la version française, vous êtes Anjea, tandis que la version anglaise, propriété d’Irma, mettait en exergue le nom d’Eingana. Ainsi, dans ces termes éponymes dédoublés, la partie finale est plus importante que la partie initiale.

Mais pourquoi trouve-t-on, dans les deux cas, le même nom d’auteure : IrmÈve — et pas, pour la version anglaise, un mot-valise comme : ÈvIrma ?

Ève – Le nom d’IrmÈve n’est pas vraiment un nom d’auteure. Il s’agit de la personne composée, du couple que nous formions, et à qui s’adressaient les deux exemplaires du livre ; or dans ce couple, Irma était la moitié la plus importante : c’est elle qui la première eut accès à nos souvenirs communs ; c’est elle aussi qui la première eut l’idée de recourir à ces emblèmes, à ces cryptoglyphes, à ces éclats de parole, pour que je puisse me remémorer à mon tour les existences qui, en d’autres temps, sur d’autres terres, furent les nôtres. Notre couple avait pour nom « IrmÈve », et non « ÈvIrma », car de nous deux Irma était à tout point de vue l’initiatrice.

D’ailleurs, les noms accouplés ne donnent pas non plus toujours le premier rôle à leur partie finale. On trouve ainsi, dans Merriblinte, les éponymes réciproqués de MyndieBidju et de BidjuMyndie :

« La façon dont, en tant que MyndieBidju,
ils grimpaient le long des gorges du rocher des étoiles,
et dont, en tant que BidjuMyndie,
ils planaient jusqu’aux rivages de l’océan de la nuit,
était la maladie qui rongeait leurs entrailles. »

Merriblinte, p. 8

Dans ce couple, la référence fondamentale est bel et bien la partie initiale de l’éponyme. L’être composite s’appelle MyndieBidju lorsque Myndie, le serpent arc-en-ciel, porte Bidju sur son dos, et grimpe le long des gorges du rocher des étoiles.

Mais il est BidjuMyndie lorsque Bidju, le planeur sucre, qu’enlace Myndie, plane jusqu’aux rivages de l’océan de la nuit.

Et dans EingAnjea, les deux éponymes réciproqués dont vous parlez ne concernent pas seulement la page de titre ; ils sont cités dans le poème : Sans substance absolument, où ils désignent l’entité composite que nous formions-formons-formerons à l’origine du temps, origine qui se confond avec son ultime aboutissement.

 

 

3-2-poeme

EingAnjea – 0. Sans substance absolument, face 3 où figure le nom accouplé : anjeingana

 

 

Dans ce temps qui se trouve à l’extrême opposé du présent, aucune de nous deux ne joue un rôle prépondérant : nous nous trouvons dans une situation ontologique où, bien que nos deux personnes soient déjà différenciées, le jour ne peut être séparé de la nuit, la lumière imprégnant les ténèbres, et les ténèbres la lumière. Le nom d’anjeingana, associé à Anjea et à moi-même, se détache alors sur un fond clair, car il est du côté de la lumière, tandis que le nom d’einganjea, qui désigne Eingana/Irma, étant proche des ténèbres, apparaît sur fond d’obscurité.

 

 

4-2-poeme

EingAnjea – 0. Sans substance absolument, face 4 où figure le nom accouplé : einganjea

 

 

R.L. – Pourquoi, alors qu’on peut lire sur le frontispice de la version française : EingAnjea, la version anglaise indique-t-elle : AnjeiNgana, et pas : AnjEingana ?

Ève : Aucune majuscule n’est utilisée dans le corps des poèmes. En ce qui concerne maintenant les titres, la lettre majuscule caractérise le passage des ténèbres à la lumière, ou le contraire, – et indique (très accessoirement) qu’il s’agit de titres plutôt que de noms propres. Il se trouve alors que la frontière entre lumière et ténèbres passe, dans

einganjea-1

par la lettre qui se trouve au milieu du mot. Mais dans

anjeingana-1

qui contient 10 lettres, il n’y a pas de lettre médiane. Si l’on veut couper ce nom au milieu d’une lettre, il faudra choisir entre « Anje-I-ngana » et « Anjei-N-gana ». Je ne sais pas pourquoi Irma a opté pour la seconde éventualité ; peut-être était-ce parce qu’Anjei-N-gana, en raison de la forme des lettres utilisées, permet d’obtenir deux moitiés plus égales qu’Anje-I-ngana.

R.L. – Il y a une chose que je ne comprends toujours pas : Pourquoi le nom d’anjeingana, qui vous désigne dans Sans substance absolument, est-il le titre de la version anglaise du livre, et non l’inverse ?

Ève : Il se trouve que sur les pages de couverture, les libellés des titres du recueil sont mi-partis entre lumière et ténèbres, tandis que l’image sur laquelle ils sont tracés s’inverse seulement de l’un à l’autre selon une symétrie droite/gauche :

 

 

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L’emblème d’Anjea et Eingana (version anglaise, AnjeiNgana)

 

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L’emblème d’Eingana et Anjea (version française d’EingAnjea)

 

 

Mais de manière tout à fait différente, il faut, dans le poème : Sans substance absolument, tenir compte de la façon dont la forme s’oppose au fond. Le nom d’einganjea (pourtant lié à Irma/Eingana), parce qu’il se détache de l’obscurité, apparaît en blanc (qui est la couleur d’Ève/Anjea), tandis que le nom d’anjeingana (pourtant lié à Ève/Anjea), parce qu’il se détache de la clarté, apparaît en noir (la couleur d’Irma/Eingana).

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Carré central de Sans substance absolument, face 3, lié à Irma/Eingana,
avec des lettres blanches (couleur d’Ève / Anjea)

anjeingana-2

Carré central de Sans substance absolument, face 4, lié à Èv /Anjea,
avec des lettres noires (couleur d’Irma/Eingana)

 

Cette caractérisation des noms éponymes dans : Sans substance absolument, se trouve justifiée par le fait qu’on trouve, dans la situation de Lunèbres = Témière, une part d’obscurité dans la lumière, et de lumière dans l’obscurité, — d’une manière quelque peu analogue à ce qui se passe dans la figure du Tai Chi, où le ying enveloppe une fraction de yang, et le yang une parcelle de yin.

 

yin-yang-tai-chi

 

Sur les emblèmes de titre, la dualité forme/fond ne peut jouer, et les lettres formant les deux moitiés des noms éponymes doivent être mises en opposition. Comme ces titres s’appliquent au couple que nous formions, Irma et moi, sans a priori s’appliquer de manière préférentielle à elle plutôt qu’à moi, à moi plutôt qu’à elle, les raisons du choix en faveur de l’une plutôt que l’autre possibilité dépendront de considérations issues du contexte, c’est-à-dire ici de la langue dans laquelle chaque recueil est rédigé.

Or le couple : Eing-A-ngea – Anjei-N-gana, constituait à nos yeux une dédicace autant qu’un titre. Et il est normal que le moi de l’auteure ou de la traductrice, lorsqu’il s’agit d’une dédicace, s’efface au profit de celle à qui son œuvre est adressée. Et puisque Irma m’avait dédicacé Anje-iNgan-a, je ne vois pas pourquoi je ne lui aurais pas dédicacé en retour EingAn-je-a.

Vous voyez que les nuances susceptibles d’être véhiculées par les noms éponymes accouplés sont beaucoup plus compliquées, beaucoup plus subtiles que vous ne l’imaginiez tout à l’heure.

 

 

 

 

 

 


[1]. La page de titre de la version anglaise, reproduite ici, est une maquette retrouvée dans les papiers personnels d’Ève de Poitiers. L’original a été déposé, conformément aux vœux de celle-ci, dans le cercueil d’Irma Waybourne.