Harald Langstrøm
Tranéï
Quel que soit le contexte, le substantif énantien : zi tranéï, signifie : « la voie » (the path), « le chemin », « le passage ».
- Ce terme est attesté une fois chez Hélène Smith :
« 12 septembre 1897.
« Ici, Mlle Smith paraît se réveiller, ouvre les yeux et a une longue vision martienne, qu’elle décrit en détail. Elle voit d’abord une petite fille en robe jaune, dont elle entend le nom Anini Nikaïné, occupée à divers jeux d’enfant ; par exemple, avec une baguette, elle fait danser une foule de petites figures grotesques dans un baquet blanc, large et peu profond, plein d’une eau bleu de ciel. Puis viennent d’autres personnes, et, finalement, Astané[1] […] qui a une plume au bout du doigt et qui, peu à peu, s’empare du bras d’Hélène et la plonge en pleine transe.
Codex Seraphinianus, doigt-plume[2]
« Je lui présente un crayon et, après diverses tergiversations, elle se met à tracer très lentement des caractères martiens. C’est Astané qui se sert de son bras, et elle est pendant ce temps totalement anesthésique et absente. Léopold[3], en revanche, est là et donne divers signes de sa présence ; par exemple, comme l’un des assistants, en la voyant former ces lettres bizarres, parle de les comparer avec les divers alphabets orientaux pour voir s’ils en proviennent, Léopold dicte par un doigt [d’Hélène] : Vos recherches seront bien inutiles. À la fin de la sixième ligne, elle paraît se réveiller à demi et murmure : « je n’ai pas peur, non je n’ai pas peur ! » puis elle retombe dans son rêve pour écrire les quatre derniers mots (qui signifient : « Alors ne crains pas », et sont la réponse d’Astané à son exclamation). Presque aussitôt, Léopold se substitue à Astané et trace sur la même feuille, de son écriture caractéristique quoique assez déformée vers la fin : Mets ta main sur son front [Il est à noter que Léopold a écrit ces mots en conservant le crayon dans la position où le tenait Astané, c’est-à-dire entre l’index et le médius (mode d’Hélène), au lieu de le prendre à la manière ordinaire, entre le pouce et l’index, comme il en a l’habitude], par où il m’indique que c’est le moment de passer à la scène de traduction par Ésénale[4]. »
taniré mis mèch med mirivé éziné brimaξ ti
tès tensée.
azini dé améir mazi si somé iche nazina
tranéï. –
Simandini cé kié mache di pédriné tès luné
ké cé êvé diviné
patrinèz kié nipuné ani
mets ta main sur son front
prends un crayon pour tracer mes paroles de
cet instant.
alors tu viendras avec moi admirer notre nouveau
passage.
Simandini, je ne puis te quitter ce jour
que je suis heureux
alors ne crains pas
mets ta main sur son front
Fig. 23. Texte martien n° 17. – Écrit par Mlle Smith incarnant Astané
(puis Léopold pour les mots français de la fin). L’s de trop, à la fin de la première ligne,
a aussitôt provoqué le gribouillage destiné à la raturer.
Theodore Flournoy, Des Indes à la planète Mars,
Étude sur un cas de somnambulisme avec glossolalie,
pp.169-170 et 200-201, séance du 12 septembre 1897
2. De son côté, le Codex espeniensis fait du mot tranéï l’un de ses vocables préférés. Son chapitre 6, pp 71-86, porte même le titre de : tranéïξ – « Chemins ». Voici un exemple de ce qu’il nous enseigne à leur sujet :
té ubré ine mânivi
zi tranéï né mis ni zé touzé
té mânivi ine ubré
zi tranéï né mis ni ani zé touzé
té mânivi ine mânivi
zi tranéï kié né béz mis
béz zé touzé
De l’un au multiple,
le chemin est un et le même.
Du multiple à l’un,
le chemin est un et pas le même.
Du multiple au multiple,
le chemin n’est ni un
ni le même.
Codex espeniensis, page 63
Dans cet ouvrage, « la voie » (« le chemin ») englobe « la voie qui monte » (zi hênéï) et « la voie qui descend » (zi viséï), – ces trois substantifs étant dérivés des verbes : hêné, « monter » ; visé, « descendre » ; trané, « passer ».
ni téri ubré né ié
étché attanâ né ine curzéi
ti misé viséï ni ti misé hénéï
ni téri ié né vinéi
zi pimissipié pimivipie tié attanâξ
né ine curzéï
ti misé pimissipié pimissipie
tié viséïξ ni tié hénéïξ
Et comme un est tout,
chaque monde est au carrefour
d’une voie qui descend et d’une voie qui monte.
Et comme tout est cercle,
l’infinie infinité des mondes
est au carrefour
d’une infinité infinie
de chemins qui montent et de chemins qui descendent.
Codex espeniensis, page 66
3. Ainsi, d’Hélène Smith à S-21 et au Codex espeniensis, le mot : tranéï, revêt des significations assez largement incompatibles.
Dans le texte d’Hélène Smith, la tranéï dont il est question semble éventuellement désigner une partie de discours plutôt qu’un couloir ou toute autre voie de communication matérielle. Dans le corpus de textes liés à l’héritage de S-21 en revanche, une tranéi est spécifiquement une porte qui s’ouvre instantanément sur une destination lointaine, située soit sur la planète Énantia soit sur la Terre, soit sur l’une des nombreuses planètes extraterrestres activement explorées par les habitants d’Énantia.
Miza
Les tranéiξ qui communiquent directement les unes avec les autres forment un miza, un « portail ». Les mizaξ, reliant des points de l’univers faisant partie d’espaces-temps différents, permettent donc de se transporter, apparemment sans transition, d’un univers à l’autre et d’une planète à l’autre.
1. C’est en se raccordant à un tel miza que S-21 put, en 1977 ou 1978, s’échapper de la prison de Tuol Sleng à Phnom Penh, et se retrouver dans la tranéï de Cétile Baufore, dans l’archipel d’Espénié sur Énantia. Et ce même miza lui permit, une dizaine d’années plus tard, de revenir sur Terre, utilisant peut-être pour ce faire une tranéï située sur le rivage du Jøssingfjord en Norvège.
E8 a (M), zi tranéï, « le passage ».
Portulan réalisé par S-21 dans les années 2004-2007 à Copenhague.
2. Les mizaξ sont en revanche décrits par Hélène Smith comme constituant, sur Espénié, de simples moyens de locomotion terrestres :
« [Mlle Smith voit] d’abord trois petites maisons roulantes, comme des pavillons ou kiosques chinois se déplaçant sur de petites boules ; dans l’une d’elles, deux personnages inconnus, dont l’un sort la main par une petite fenêtre ovale ; ce qui lui attire de la part de son compagnon l’observation suivante :
paniné évaï kirimé zé miza ami grini ké chée éméche rès pasé
Paniné sois prudent, le miza va soulever, que ta main se retire !
« A ce moment, en effet, ces pavillons roulants (miza) prennent un mouvement de balancement qui fait un bruit de tic tac, puis glissent comme un train sur des rails. Ils contournent une haute montagne rose et arrivent dans une sorte de superbe gorge ou entonnoir, aux pentes couvertes de plantes extraordinaires, où se trouvent des maisons blanches sur des grillages ressemblant à des pilotis. »
Theodore Flournoy, Des Indes à la planète Mars,
Étude sur un cas de somnambulisme avec glossolalie,
p. 213 et texte n° 23, 20 février 1898.
3. On ne trouve nulle part dans les autres sources, pourtant relativement abondantes qui nous parlent d’Énantia, le moindre témoignage corroborant cette description d’Hélène Smith ; il n’existe inversement nulle part, dans les témoignages de la médium genevoise, le moindre indice permettant de penser qu’un miza puisse servir à autre chose qu’à se déplacer physiquement à la surface d’Espénié.
Je pense cependant qu’il s’agit, dans le cas présent, d’une vision qu’Hélène Smith interpréta faussement en raison des croyances qu’elle entretenait, ainsi que la plupart de ses contemporains, au sujet de la planète Mars et de ses canaux. J’utiliserai donc, dans tout ce qui va suivre, les termes de miza et de tranéï dans le sens que leur donnent S-21, le Codex espeniensis, et l’ensemble de la tradition énantienne
[1]. Un habitant d’Espénié (Mars) avec qui Hélène s’est liée d’amitié.
[2]. Il est extrêmement troublant de constater que cette « plume au bout du doigt » se trouve clairement représentée sur le Codex Seraphinianus, qui par ailleurs n’entretient absolument aucun rapport avec le monde d’Énantia.
[3]. Léopold, l’un des alter ego/mentors intérieurs d’Hélène Smith, accompagne celle-ci lors de sa transe.
[4]. Ésénale vient de mourir sur « Mars » (Espénié) et désormais se souvient de sa vie antérieure sur la Terre, où il était le fils d’une des participantes aux séance spirites d’Hélène Smith ; maîtrisant aussi bien le français que l’énantien, il fait office de traducteur.





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