Casabianca

 

 

 

Harald Langstrøm

 

 

 

Le texte n° 39, chapitre 6, du manuscrit LaraDansil est rédigé dans un style assez différent des autres par sa tonalité lyrique (pour ne pas dire volontairement épique). Je dois à Nael di Faella l’identification de la source à laquelle il se réfère.

Il s’agit d’un démarquage des deux premières strophes du poème : Casabianca, écrit en 1826 par Felicia Dorothea Hemans (1793-1835), une œuvre que d’innombrables écoliers britanniques apprirent par cœur pendant plus d’un siècle, du milieu du XIX° à celui du XX° siècle.

 

Felicia_D_Hemans_Portrait

Felicia Dorothea Hemans

 

L’action de Casabianca se passe au cours de la bataille du Nil (ou bataille d’Aboukir), le 1er août 1798, durant laquelle l’amiral Nelson incendia la flotte française ayant permis de transporter l’armée d’Égypte de Toulon à Alexandrie. On raconte que, durant la bataille, le commandant de l’Orient, vaisseau amiral de la flotte française, ordonna à son fils, jeune mousse de douze ans, de rester en observation sur le pont du navire jusqu’à ce qu’il l’autorise à abandonner son poste. Le père, Luce de Casabianca, fut tué assez tôt au cours de l’affrontement ; son fils, Giocante, qui refusa de quitter son poste tant que son père ne lui en aurait pas donné l’ordre, périt à son tour dans l’explosion du navire.

Les deux premières strophes du poème de Felicia Dorothea Hemans sont les suivantes :

The boy stood on the burning deck
Whence all but he had fled;
The flame that lit the battle’s wreck
Shone round him o’er the dead.

Yet beautiful and bright he stood,
As born to rule the storm;
A creature of heroic blood,
A proud, though child-like form.

 

Le garçon se tenait sur le pont brûlant
D’où tous sauf lui avaient fui ;
La flamme qui éclairait l’épave dans la bataille
Brilla autour de lui et sur les morts.

Beau et clair il se dressait,
Comme né pour commander à la tempête ;
Une créature de sang héroïque,
une silhouette fière, bien qu’enfantine encore.

 

Thomas Luny - Bataille d'Aboulir - 1 aout 1798

Thomas Luny (1759-1837) — La bataille du Nil, 1er août 1798

 

On comparera ces vers avec ceux de la version anglaise du texte n° 39 :

Aju.
Upright the maiden stood in[1] the burning land[2].
Everyone but she had fled.
Fire after flight consumed the world[3]
lightning[4] up around her the dead.

 

Fair and bright she rose,
as born to rule the storms,
a creature of heroic blood,
a proud though childlike form.

Aju.
La jeune fille était debout dans l’île qui brûlait,
tous sauf elle avaient fui.
Le feu après l’attaque dévorait le monde
Éclairant les morts autour d’elle.

Belle et lumineuse elle se dressait,
Comme née pour commander aux tempêtes,
Une créature de sang héroïque,
Une silhouette fière, et enfantine encore.

Dans le manuscrit LaraDansil, Giocante Casabianca a été remplacé par l’une des deux « filles qui ne sont pas des filles » (il s’agit presque certainement de Miranda, l’aînée des sœurs Waybourne).

 

10

Chapitre 2, n° 10 — Miranda Waybourne (« Une des filles qui ne sont pas des filles ») et l’incendie de la flotte

 

Le père de Giocante, Luce de Casabianca, peut-il être dans la foulée assimilé à « la mère qui n’est pas une mère », Jenaveve McCraw ? Cela est d’autant plus probable que l’on trouve, aux n° 9 et 11 du chapitre 2, des représentations de navires de ligne incendiés dans un combat naval (qui pourrait bien être celui d’Aboukir), au moment même où se trouve introduite l’idée que « le temps se fend », déclenchant le cataclysme de type explosif qui détruira complètement l’île d’Aju.

 

9

Chapitre 2, n° 9 et 11 (« Celui qui fend le temps »)

 

15

Chapitre 3, n° 15 et 18 (Le troisième visage féminin)

 

 

 

 

 


[1]. La langue de la version anglaise du manuscrit est, sur de nombreux points, rocailleuse, pour ne pas dire incorrecte. Voir aussi plus bas, note n° 4.

[2]. Le manuscrit dit : zi odievine, « l’île ». Ce mot est composé de : odi, « eau », et : e vine, mot à mot : « à (le) tour », « autour ».

[3]. L’épave de l’Orient est devenu un « monde », en l’occurrence celui d’Aju, anciennement Lara.

[4]. Lightning up, pour lighting up. Voir note n° 1 ci-dessus.