par Raymond Tyrus Lumley
La famille Fitzhubert est originaire de la ville de Salisbury, dans le Wiltshire, au sud de Stonehenge (Angleterre), où sa généalogie remonte au XIème siècle. Le grand-père de Gaspar Fitzhubert, Benedict, né en 1796, lieutenant-colonel dans l’armée des Indes, fit partie des victimes de la grande embuscade des gorges de la Kaboul (Afghanistan) en 1842.
Son père, Leonard, né en 1833 et mort en 1887 d’une attaque d’apoplexie, marié en 1861 à Lilian Longfellow, dont il eut trois enfants : Robert né en 1861, Gaspar né en 1863, et Emma née en 1865, choisit d’entrer en politique au sein du parti Tory, et siégea à la chambre des Lords de 1859 à 1887. Fort de l’amitié de Benjamin Disraeli et grâce à ses importantes relations dans la City, sa fortune devint l’une des plus importantes de l’Angleterre d’alors.
Suivant les traces de son grand-père, Gaspar Fitzhubert (1863-1931) embrassa la carrière des armes, parvenant dès 1885 (en partie grâce aux appuis politiques de son père) au grade de lieutenant colonel.
Gaspar Fitzhubert
En 1886, alors qu’il dirigeait une mission d’exploration au-delà des frontières nord-ouest de l’Empire des Indes, il atteignit la ville de Zahedan (capitale du Sistan et Balouchistan iranien actuel), sous les murs de laquelle il bivouaqua plusieurs semaines. C’est dans le bazar de cette ville qu’un marchand baloutche lui céda, pour une somme conséquente selon les critères de l’époque, le manuscrit LaraDansil .
L’année suivante, il donna brusquement sa démission, quittant les Indes et rentrant en Angleterre – avant même d’apprendre la mort de son père, foudroyé alors qu’il prononçait un discours devant ses pairs à la Chambre des Lords, et décédé trois jours plus tard sans avoir recouvré sa connaissance. Ayant pris possession de son héritage, il mit en ordre ses affaires privées, fit ses adieux à sa famille, et partit s’installer en Australie. Après quelques recherches, toutes localisées dans une région située au nord de Melbourne (État de Victoria), il acquit un vaste domaine d’élevage à quelques kilomètres au sud de la petite cité de Woodend, et y fit construire Martingale Manor.
En 1889, il retourna une dernière fois en Angleterre, où il épousa Amalia Cosgrove, une sienne cousine originaire de Salisbury.
Amalia Cosgrove-Fitzhubert
A partir de 1890, définitivement installé à Martingale Manor, il dirige Martingale Estate, sa vaste propriété foncière consacrée à l’élevage ovin, et mène en apparence une vie de gentleman farmer ordinaire, pratiquant la chasse, collectionnant les armes à feu et fréquentant la bonne société locale.
Après 1895, formant contraste avec cette existence sans histoire, il entretient au vu et au su de tout le monde une maîtresse à demeure, Miss Jenaveve McCraw, promue pour l’occasion au titre d’intendante de la maison. L’élément étrange de cette affaire est que le colonel Fitzhubert semble avoir eu connaissance de l’existence de Jenaveve McCraw alors que leurs destinées auraient dû demeurer parfaitement étrangères l’une à l’autre.
Jenaveve McCraw, née en 1871 à Kilsyth (Écosse) d’une famille modeste, était venue s’installer à Londres en 1889, où elle exerça le métier de modiste. En 1893, Gaspar Fitzhubert, après l’avoir activement fait rechercher par une agence de détectives privés londoniens, l’engagea par le truchement d’un notaire du West End, puis finança à fond perdu son passage d’Angleterre en Australie.
Devenue intendante en titre de Martingale Manor (bien qu’elle n’eût aucune qualification particulière lui permettant d’exercer cette fonction – qu’elle n’exerça d’ailleurs nullement), elle consacra, conformément aux instructions du colonel, l’essentiel de son temps à l’exploration de la moitié sud de l’État de Victoria. Nul ne sait aujourd’hui comment Amalia Fitzhubert-Cosgrove réagit à ce fait accompli ; on la décrit comme une personne effacée, volontiers neurasthénique, houspillant sans cesse la domesticité, et affligée d’une passion dévorante pour la lecture des romans sentimentaux.
La liaison du colonel Fitzhubert avec Miss Jenaveve McCraw fut d’assez courte durée : le 14 février 1900, jour de la Saint Valentin, cette dernière se rendit, on ne sait pour quelle raison, à Hanging Rock, d’où elle disparut sans laisser la moindre trace. La police de Woodend, dont les effectifs étaient alors clairsemés, laissa traîner l’enquête, qui sombra dans l’oubli sans jamais avoir été officiellement close. Le colonel, d’ailleurs, ne sembla pas prendre ces recherches très à cœur.
Jenaveve McCraw
Après la disparition de Jenaveve McCraw, le colonel s’installa dans ce qu’il appelait « son antre », un des deux grands salons du rez-de-chaussée de Martingale Manor ; délaissant la chasse et sa collection d’armes à feu (reléguée puis oubliée dans un cabinet du premier étage), négligeant la direction de son domaine désormais confiée à des intendants rétribués, il consacra l’essentiel de son temps à tisser autour du monde un vaste réseau de correspondants, focalisant ses investigations sur deux domaines connexes :
— Des agents rémunérés par lui s’informaient régulièrement auprès des capitaineries des principaux ports d’Europe et de l’océan Pacifique au sujet d’incidents ayant, dans le passé aussi bien que dans le présent, perturbé la navigation des navires de commerce dans la zone est de l’océan Pacifique située entre les rivages du continent américain, le détroit de Behring, les îles Sandwich (aujourd’hui Hawaï) et l’archipel des Tuamotu, ainsi que dans sa partie sud, de la Nouvelle Zélande au cap Horn et à l’Antarctique. Ces enquêteurs étaient chargés, lorsqu’ils étaient instruits de la moindre anomalie, de contacter les capitaines et les marins des navires concernés afin de recueillir leur témoignage puis, le cas échéant, de mener des enquêtes auprès des armateurs, des compagnies de fret, des sociétés d’assurances ayant eu à traiter l’affaire.
— Des historiens et géographes fouillaient d’autre part les bibliothèques et les archives du monde entier à la recherche de portulans et de cartes anciennes, ainsi que de manuscrits relatant des explorations jadis menées dans ces mêmes zones de l’océan Pacifique, leur attention se concentrant plus particulièrement sur les expéditions, remarquablement nombreuses du XVIème au XVIIIème siècles, parties à la recherche du mythique continent antarctique — l’intérêt du colonel s’étant peu à peu focalisé sur les deux grandes îles de Magellan et de la Joncade, situées (selon certains cartographes du XVIème siècle) quelque part au sud de l’île de Pâques.
Il est à ce propos tout à fait intéressant de remarquer que l’île de la Joncade, aujourd’hui considérée comme une terre purement imaginaire, est par sa forme tout à fait identique à Ascédiffe, l’une des principales îles de l’archipel d’Éspénié, en Énantia[1].
Folio XLIII de la Cosmographie universelle,
réalisée en 1555 par Guillaume le Testu, montrant
(en bas) l’île de Magellan et (en haut) l’île de la Joncade
[l’est est en bas, le nord à droite]
Vue partielle de l’archipel d’Espénié, avec l’île d’Ascédiffe
(orientée comme précédemment, le nord à droite)
Gaspar Fitshubert apprit en 1930 qu’il était atteint de leucémie, nouvelle qu’il accueillit avec une sorte d’étrange soulagement. Après sa mort, survenue le 23 mars 1931, on retrouva dans le grand salon dont il avait fait son antre l’intégralité de sa bibliothèque (y compris le manuscrit LaraDansil accompagné de sa traduction anglaise, et aussi la plupart des documents d’enquête accumulés par lui au fil des ans, documents que sa fille Sara étudiera passionnément après la disparition de ses deux filles en 1940) ; une petite armoire, toujours très soigneusement cadenassée et à laquelle personne n’avait accès à part le colonel lui-même, avait en revanche été, on ne sait ni quand ni par qui ni pourquoi, entièrement vidée de son contenu. Le colonel avait ainsi emporté dans la tombe l’essentiel de ses secrets.
Gaspar Fitzhubert eut, d’Amalia Cosgrove, trois enfants.
Patrick James Fitzhubert, né en 1890, fut, de 1901 à 1908, interne à l’école publique de Gisborne (une institution privée essentiellement fréquentée par les rejetons des familles de grands propriétaires fonciers de la région), où il se lia d’amitié avec Frank Waybourne, lui-même originaire de Mount Macedon ; engagé volontaire en 1915, il fut affecté, en tant que lieutenant, à la 5ème division australienne, qui faisait partie du XIème corps d’armées sous les ordres du général anglais Richard « Butcher » Haking, et fut porté disparu lors de la sanglante et désastreuse bataille de Fromelles (France, 19-20 juillet 1916), au cours de laquelle tombèrent 5 600 soldats australiens, 1 300 britanniques et 1 500 allemands.
Patrick James Fitzhubert
Bien qu’il fût présumé mort, il n’y avait aucune certitude quant à ce qui lui était effectivement arrivé, jusqu’à ce qu’en 2009 des recherches archéologiques tardives permissent de découvrir, juste au nord du village de Fromelles, à la lisière du Bois du Faisant, cinq fosses communes, où les soldats allemands de la 6ème division bavaroise de réserve avaient enterré les corps de 250 soldats australiens et britanniques tombés dans leurs lignes. Les analyses ADN permirent d’identifier, parmi ceux-ci, les restes de Patrick Fitzhubert, qui fut enterré une nouvelle fois dans le cimetière militaire du Bois du Faisant en février 2010. J’obtins, après des semaines de négociations parfois difficiles, qu’aucune croix ne soit gravée sur sa pierre tombale, et qu’y figure en outre l’inscription suivante, qui constitue l’incipit du manuscrit LaraDansil :
In the beginning earth,
and earth on the waters.
At the outcome waters,
and waters on the earth.
Between earth and waters,
between beginning and outcome,
men’s life.
Au commencement la terre,
et la terre sur les flots.
A la fin les flots,
et les flots sur la terre.
Entre terre et flots,
entre commencement et fin,
la vie des hommes.
Fromelles, cimetière militaire du Bois du Faisant
J’aurais à vrai dire préféré qu’y fût gravé l’original énantien de cette épitaphe, dans l’une ou l’autre des graphies :
Mais, comme il fallait s’y attendre, je dus céder sur ce point.
Sara Jane Fitzhubert-Waybourne, née en 1892, avait en 1913 épousé Frank Waybourne, l’ami de son frère Partick, dont elle eut quatre filles : Miranda (née en 1917), Marion (née en 1920), Irma (née en 1921) et Edith (née en 1924). En 1929, Frank Waybourne, d’humeur sombre et de tempérament dépressif depuis la disparition de son beau-frère Patrick, s’enfuit avec un amant – selon les dires de la police qui ne diligenta aucune enquête approfondie à ce sujet ; personne n’a jamais véritablement su ce qu’il était devenu, ni combien de temps il vécut après qu’il eut déserté le domicile conjugal.
Sara Jane Fitzhubert
Frank Waybourne
Sara réagit à la disparition de son mari avec une sorte de résignation attristée, comme s’il s’agissait d’une catastrophe prévue de longue date ; elle n’accorda jamais le moindre crédit aux affirmations malveillante de la police. Et si l’on en croit le témoignage laissé plus tard par sa fille Édith, elle savait, ou tout au moins se doutait de ce qui avait dû lui arriver, défendant jusqu’au bout sa mémoire :
« Jamais Frank ne m’a trahie ; c’était un homme d’une absolue fidélité, en amitié aussi bien qu’en amour. » (Mai 1943)
Elle affirmait aussi que la police avait été payée, ou avait subi des pressions venues d’en haut pour qu’elle salisse la réputation de son mari tout en dissimulant ce qu’il était advenu de lui :
« Là où Frank est allé, j’espère qu’un peu de justice a été rendue, à lui comme à tous les autres. Pauvres âmes, elles en avaient tellement besoin ! Et comme elles sont nombreuses encore aujourd’hui, comme elles sont nombreuses ! » (17 novembre 1945)
Pendant les dix années qui suivirent, elle se consacra à l’éducation de ses quatre filles, qu’elle semblait également entourer de sa tendresse.
La seule bizarrerie datant de cette époque et digne d’être relevée fut qu’en 1936-1937 elle confectionna une série de « portraits » au point de croix de ses deux filles aînées – portraits qui en avaient seulement le nom, les visages qui s’y trouvaient représentés ne ressemblant nullement à ceux de Miranda et Marion.
Portraits au point de croix, réalisés par Sara Waybourne, 1937
Miranda et Marion Fitzhubert-Waybourne disparurent dans l’amas rocheux de Hanging Rock le 14 février 1940, jour de la Saint Valentin, quarante ans jour pour jour après Jenaveve McCraw. Ce jour-là, les quatre filles de Sara : Miranda, Marion, Irma et Edith, avaient décidé de pique-niquer à Hanging Rock en compagnie d’une ancienne dame de compagnie de leur mère et d’un couple d’amis. Alors qu’après déjeuner les adultes faisaient la sieste, les quatre jeunes filles partirent en exploration dans le chaos rocheux. En milieu d’après-midi, Edith en pleurs donna l’alarme, disant que ses trois sœurs, « comme si elles s’étaient transformées en fantômes », s’étaient évanouies dans un étroit passage entre deux parois à pic. Trois jours plus tard, Irma fut découverte par son cousin Michael prisonnière d’une anfractuosité de la roche, saine et sauve bien qu’amnésique ; on ne trouva jamais la moindre trace de ses deux aînées.
Miranda & Marion Fitzhubert
Sara, brisée par les disparitions successives de son frère, de son mari et de ses deux filles aînées, et semblant désormais se désintéresser de ses deux plus jeunes filles, s’enferma dans l’ancien bureau de son père et y réalisa, entre 1941 et 1960, la tapisserie Sucharys.
Elle déplorait parfois sa réclusion volontaire, regrettant en particulier de ne pas avoir pu conserver l’affection d’Irma, de ne pas l’avoir suffisamment protégée :
« La fille qui ne parle pas était celle qui aurait dû savoir. Est la seule qui sait encore. Mais elle partage ce qu’elle sait avec l’étrangère. Amalia n’a pas su retenir l’âme de Gaspar, qui s’est envolée loin, et loin d’elle ; il en va de même pour moi au regard de ma fille. Irma a franchi les portes de la mort, et je n’ai su raviver la flamme de sa vie ! L’étincelle de sa mémoire s’est perdue. Et pourtant, elle était la seule qui pouvait se souvenir. » (Octobre 1954)
En d’autres occasions, elle manifestait à l’égard de l’hostilité d’Irma à son encontre une sorte d’acceptation, comme s’il s’agissait d’une fatalité les dépassant toutes deux :
« Il y a plusieurs passés et plusieurs avenirs. Celui qui vient à moi n’est pas celui d’Irma, qui emprunte, relativement au mien, un chemin plus capricieux. Regarde-moi. Me voici, avec mes pauvres mains, mes yeux fatigués, et jour après jour j’accomplis ce que je crois être la tâche la plus importante au monde, et qui peut-être n’est que le rêve d’un fantôme. Irma a elle aussi reçu un lot ; elle accomplit ce qui doit être fait. » (13 mai 1959)
Elle implorait enfin sa benjamine de lui pardonner :
« Alors même que tu te tiens assise devant moi, je me reproche d’être la bête stupide que je suis ; et ce n’est pas parce que ce que je suis est ce que je dois être, ce que je ne peux pas m’empêcher d’être, que cela me rassérène, que j’y puise consolation. » (8 mars 1949)
La tapisserie Sucharys devint la principale curiosité du Fairfaith Museum de Martingale Manor (1993-2023).
La tapisserie Sucharys
Sa hauteur est de 3,037 m pour 4,523 m de largeur. Elle fut réalisée par lais de différentes tailles, sur un métier à tisser de basse lisse fabriqué au Pays de Galles en 1783. Il fut acheté en 1946 auprès d’un collectionneur anglais, et transporté en Australie par bateau. Sara Waybourne réalisa cette tapisserie comme sous le coup de commandements successifs, dont elle ne percevait ni l’origine ni la nature, mais qu’elle acceptait comme s’ils lui imposaient un devoir sacré, qu’elle accomplissait en mémoire de ses filles disparues :
« Ce n’est pas ma pensée qui guide ma main ; ce ne sont pas mes doigts qui tiennent mon pinceau. Ce n’est pas moi qui peine sur ce métier ; tout ce que je fais, d’autres l’ont décidé à ma place. » (mars 1952)
« Les morts ne sont pas morts, et beaucoup trop de vivants ne sont plus vivants. Vivante parmi les morts, morte parmi les vivants, je suis l’outil d’un dessin dont la trame est le linceul de Miranda ; et la chaîne, la souffrance de Marion.
« Comment pourrait-elles, de là où elles sont, mes chères âmes en peine, me parler ? Il faut pourtant que quelqu’un soit cette voix qui me chuchote, dans l’ombre de mon cœur, tout ce que je dois savoir pour mener ma tâche à bien. » (1er janvier 1956)
Durant ses années de retrait, elle peignit d’autre part de nombreuses aquarelles représentant des paysages et des édifices bizarres, dont certains figurent, selon les titres qu’elle leur donnait, « Hanging Gate ».
Hanging Gate, Sara Fitzhubert, vendredi 3 novembre 1944
Sans doute Sara voulait-elle représenter ce qu’était selon elle l’autre face (le débouché ?) du « miza de Hanging Gate ». « Hanging Gate » est parfois représenté comme une formation rocheuse assez analogue à Hanging Rock, parfois comme une montagne ressemblant à une pyramide, et qui abriterait un temple ou une sépulture royale entourée de grands portails flanqués de galeries monumentales (des bâtiments conventuels ?) ; mais il se trouve parfois associé à des architectures tout simplement incompréhensibles.
En dehors d’Édith, tout le monde à Martingale Manor considérait Sara comme affligée, en raison des nombreux deuils qu’elle avait subis, d’une étrange forme de délusion ou de délire privé, qui la coupait définitivement du monde des vivants. On la tenait à distance, en sorte qu’elle restait parfois des jours entiers sans adresser la parole à âme qui vive, si ce n’est à la bonne qui lui apportait ses repas. Elle ne sortait que très rarement de Fairfaith Lounge, où elle dormait, prenait ses repas et travaillait à la tapisserie Sucharys – de plus en plus difficilement à mesure que ses forces déclinaient.
Le plus jeune fils du colonel, Albert (Bertie) Fitzhubert, né en 1896, épousa en 1918 Virginia Whitehead ; son unique fils, Michael, naquit en 1919.
En 1925, il fonda à Woodend une entreprise de réparation de camions et d’engins agricoles (tracteurs, moissonneuses…), qui étaient à l’époque en Australie des nouveautés révolutionnaires. En 1931, il prit la succession de son père à la tête de Martingale Estate dont il assuma personnellement la direction. Pour le reste, il manifestait la plus souveraine indifférence, pour ne pas dire le plus souverain mépris, à l’égard de ce qu’il appelait les « tristes lubies » de son père, et la « redoutable dingoterie » de sa sœur.
Bertie Fitzhubert mourut d’une crise cardiaque un an après Sara.
Albert (Bertie) Fitzhubert & Virginia Whitehead
Enfant, Michael Fitzhubert, le fils d’Albert, fut comme un rayon de soleil, ou pour mieux dire un tumultueux courant d’air frais dans l’atmosphère confinée de Martingale Manor. Tenant de la tornade et de l’éclat de rire, il alternait gambades et sottises ; sa désarmante gentillesse lui évitait le plus souvent punitions et réprimandes.
Malgré sa vive intelligence, il ne manifestait guère d’intérêt pour les études, préférant vagabonder par monts et par vaux dans le domaine de Martingale Estate, plutôt que lire des livres ou fréquenter les salles de classes. Il obtenait cependant, afin de ne pas attrister sa mère qu’il idolâtrait, des résultats scolaires à peine passables.
Michael Fitzhubert
Pour ce jeune homme exubérant, l’attaque japonaise de Pearl Harbor fut comme un coup de tonnerre dans un ciel jusqu’alors serein. Enrôlé dans l’armée australienne dès l’automne 1940, ses qualités physiques ainsi que sa précoce expérience de « coureur de brousse », le firent remarquer par ses instructeurs, qui le mirent à la tête d’une section de reconnaissance du 2/14ème bataillon, 21ème brigade de la 7ème division d’infanterie australienne.
Le 21 juillet 1942, des troupes japonaises débarquaient à Buna, sur la côte nord-est de la Nouvelle Guinée, avec pour objectif Port Moresby, un port situé directement en face des côtes septentrionales de l’Australie. Le 26 août, alors qu’elle bivouaquait à proximité de Templeton’s Crossing, la section de Michael Fitzhubert fut envoyée en embuscade au-dessus du Kokoda Track, avec pour mission de retarder autant que faire se pouvait l’avance des envahisseurs. Il disparut le 2 septembre 1942, dans des circonstances qui n’ont jamais pu être éclaircies.
Il fut retrouvé, le 25 avril 1944, Robinson Crusoé sans Vendredi, sur l’île de Starbuck, un îlot désertique situé par 5° 39′ de latitude Sud, 155° 53′ de longitude Ouest. Cet ancien lagon aujourd’hui asséché, qui appartient à l’archipel des Îles de la Ligne, culmine à 5 mètres au-dessus du niveau de la mer ; sa taille est d’approximativement 8,9 kilomètres d’est en ouest et 3,5 kilomètres du nord au sud[2] ; la terre émergée la plus proche est l’île de Malden, 200 km plus au nord.
L’île de Starbuck, totalement inhabitée à sa découverte en 1823 par des navigateurs américains, fut brièvement occupée, au tournant des XIXème et XXème siècles, par des équipes d’ouvriers exploitant le guano, puis une nouvelle fois abandonnée ; on n’y trouve aucune source d’eau potable.
Lors de son sauvetage, Michael Fitzhubert était comme halluciné, quasiment mutique. Il avait établi sa tanière au creux d’un abondant stock de nourriture et de matériel de guerre américain, dont nul ne put jamais dire comment il était parvenu là : il s’agissait d’un lot de fournitures embarquées sur le libertyship Wilfried K. Mancolm, torpillé dans la nuit du 14 au 15 février 1943 au large de la Nouvelle Calédonie par le sous-marin japonais I.24. Et Michael Fitzhubert se contentait, lorsqu’on l’interrogeait à ce sujet, de bredouiller : « Cargo ! Cargo ! »
Lieu des disparitions et de lq réapparition de Michael Fitzhubert
Rapatrié en Australie, il fut interné au Glenside Hospital d’Adelaïde, d’où il s’évapora mystérieusement dans la nuit du 13 au 14 février 1950, bien qu’il fût, en raison de son état mental, enfermé à double tour dans une cellule de sûreté. Nul n’a depuis entendu parler de lui.
Des deux filles survivantes de Sara, Irma Waybourne, se voyant abandonnée par sa mère, étouffant dans une trop vaste demeure devenue, selon ses dires, « un cénotaphe rempli de moisissures », claqua la porte à la suite d’une violente dispute avec son oncle Albert qui prétendait lui faire épouser un ingénieur agronome fraîchement émoulu de l’université de Sydney. En 1947, elle rompit tout contact avec l’ensemble de sa famille (sa mère Sara et sa sœur Édith comprises), et partit s’installer à Melbourne. A la mort de Sara, en 1960, elle refusa de toucher le moindre héritage, ne communiquant à cette occasion avec Edith que par notaire interposé.
Sur le moment, personne dans la maison Fitzhubert ne sut ce qu’il était advenu d’elle. Profondément attristé par cette brouille survenue une dizaine d’années avant ma naissance, je décidai d’entreprendre des recherches qui, en 1998, me firent retrouver sa trace. J’appris ainsi qu’elle était morte en 1991, mais fus en mesure de reconstituer les événements ayant marqué son existence loin de Martingale Manor.
Installée à Melbourne en 1948, elle était devenue professeur d’anglais, métier qu’elle exerça jusqu’en 1988. En fait, elle dispensa tout d’abord quelques rares leçons particulières, vivant dans le plus grand dénuement, puis fut engagée par une institution accueillant des jeunes filles de bonne famille, où elle donna entière satisfaction et où, en 1958, elle rencontra Mademoiselle Ève de Poitiers (née en 1935), une collègue enseignant le français et l’histoire. Ce fut le coup de foudre, et les deux femmes partagèrent le reste de leur existence, se passionnant pour les sciences occultes et le folklore aborigène. Lorsqu’en 1998 je fis sa connaissance, Ève de Poitiers, désormais retraitée, vivait parmi ses souvenirs dans la petite maison où elle avait vécu avec Irma pendant de si longues années.
Irma Waybourne et Ève de Poitiers
Merriblinte
Irma Waybourne avait rédigé et illustré, dans les années 1950 (c’est-à-dire avant sa rencontre avec Ève de Poitiers), un « conte aborigène » : Merriblinte, dont elle disait qu’il lui avait été dicté en rêve (ou plus exactement « offert en vision ») par l’esprit d’un chef aborigène, un certain Ninggalobin, qui vécut dans la région de Merriwollert (Hanging Rock) au milieu du XIXème siècle, ancien (ngurungaeta) du clan Marinballuk-Boiberrit de la tribu des Wurundjeri, et mort peu avant 1860.
Dans ce mythe, qui vise à combler, au moins partiellement, le gouffre temporel de trois jours qui marqua sa propre disparition, la formation rocheuse de Hanging Rock se voit accorder le statut de Porte entre les mondes – bien qu’il ne soit ici nullement question de miza, ces nœuds de translocation qui permettent de se déplacer de la terre vers Énantia, et inversement[3].
Selon Merriblinte, Hanging Rock, qui s’appelait, lorsqu’il était encore une étendue d’eau saumâtre, Korweinguboora (« le coassement de la grenouille »), et qui devint Merriwollert (« le rocher des phalangers ») lorsqu’il acquit son aspect actuel[4], est une voie de communication « verticale » entre le monde des esprits (appelé par les Aborigènes « le temps du rêve »), et ce monde-ci (le temps de l’éveil), où matière et esprit sont nécessairement et intimement associés.
Les principaux personnages du conte sont des esprits tutélaires ordonnateurs de vie, formant deux couples successifs : dans un premier temps, Myndie, le serpent arc-en-ciel, et Bidju, le planeur sucre (un petit phalanger), présidèrent aux destinées du monde, avant d’être, après l’apparition des êtres humains, remplacés par Bunjil, l’aigle, et Waa, le corbeau, protecteurs totémiques des deux moitiés de la tribu Wurundjeri.
Comme beaucoup de mythes australiens des origines, Merriblinte a pour dessein avoué d’expliquer comment la terre acquit la physionomie que lui connaissaient les Aborigènes avant l’arrivée des Européens, et pourquoi la tribu des Wurundjeri pratiquait un système de mariages assez particulier (que certains ethnologues appellent — assez improprement — le « système murngin »).
x
EingAngea
Au témoignage d’Ève de Poitiers, Irma Waybourne est aussi l’auteure d’un étonnant recueil de poésies : EingAnjea, dont l’élaboration, la rédaction et la fabrication se seraient étendues sur plusieurs décades[5].
EingAngea contient sept poèmes illustrés, dont les textes, suites de notations éparses, sont associés à d’étranges glyphes. Ces sept poèmes fragmentés se rapportent à autant de vies qu’auraient mené deux Esprits féminins, Eingana et Anjea[6], au cours de réincarnations successives[7].
Dans toutes ces vies, Eingana et Anjea (Irma Waybourne et Ève de Poitiers dans leur présente incarnation) résident à proximité d’un portail dont la nature et le mode de fonctionnement correspond tout à fait à ce que nous savons des mizaξ. A l’occasion de chacune de ces existences, le couple d’amantes se trouve plongé dans une situation parfois tragique, mais toujours profondément dramatique. Ainsi, dans deux de ces vies (il s’agit de la seconde et de la sixième dans l’ordre du recueil), un troisième personnage (une troisième femme) joue un rôle dévastateur : il s’agit d’un autre Esprit tutélaire de la mythologie australienne, un(e) certain(e) Nargun[8] qui, d’après Ève de Poitiers était [sera] bisexuel(le), et parvint dans les deux cas à séparer les amantes[9].
Deuxième existence
Danse des mortes au point du jour (Une vie aux pieds de la Tour Eiffel.)
Selon Ève de Poitiers, cette vie « antérieure » s’est déroulée dans une ville qui n’est pas tout à fait le Paris de la Belle Époque mais où cependant se dresse un analogue de la tour Eiffel, au cœur de laquelle se cache une porte entre les mondes. La ville elle-même se meurt, à l’issue d’une guerre (nucléaire ?) aux allures d’Armageddon.
Au cours de cette existence, Eingana séduit (ou se laisse séduire par) une autre femme, une étrangère ayant traversé le portail ; et cette liaison lui aliène l’affection d’Anjea son amie. Eingana, tardivement, tente de reconquérir son premier et véritable amour ; mais Anjea, qui la rejette désormais, se laisse mourir de chagrin. La mort d’Anjea plonge Eingana dans un abîme de remords, tandis que Nargun, à son tour délaissée, repart vers son pays d’origine, de l’autre côté du portail.
Ève de Poitiers mourut en 2012 ; elle me légua par testament l’exemplaire original de Merriblinte, et me permit de réaliser une reproduction fidèle de la version française d’EingAngea (qui était sa propriété personnelle) Ces œuvres magnifiquement illustrées seront bientôt exposées au Fairfaith Museum de Martingale Manor.
Edith Trisa (« Turkey ») Waybourne, la quatrième fille de Sara, épousa en 1946 Henry Percival Lumley (1921-2008), dont elle eut, en 1959, un fils : Raymond Tyrus Lumley, votre serviteur ; en 1961, mon père prit la succession d’Albert Fitzhubert, son oncle par alliance, à la tête de Martingale Manor ; il ne manifesta jamais le moindre intérêt pour la tapisserie Sucharys et le manuscrit LaraDansil, ni pour la tragique destinée de la famille Fitzhubert en général.
Edith Waybourne et Percival Lumley
Lors du grand incendie de 1983, dont tout le monde dans la région conserve le souvenir, Martingale Manor fut épargné de justesse, mais le domaine, complètement ravagé par les flammes, subit d’énormes dommages, qui ne furent pas sérieusement couverts par les assurances. Ainsi s’accentua la décadence économique de la maison Fitzhubert/Waybourne/Lumley.
Raymond Tyrus Lumley, votre serviteur, naquit en 1959.
Lorsqu’en 1989 mon père, Henry Percival Lumley, prit sa retraite, je lui succédai à la tête de Martingale Manor. Je fus, en 1993, le créateur du Fairfaith Museum (sis dans le grand salon de Martingale Manor, qui avait été l’« antre » du colonel Gaspar Fitzhubert puis le refuge de Sara Waybourne), une sorte de mémorial principalement consacré à la tapisserie Sucharys, et à la même époque transformai le manoir en hôtel de luxe.
En raison de la crise économique due au grand effondrement informatique mondial de 2024, les entreprises dont j’étais gérant et propriétaire (l’hôtel Martingale, l’exploitation d’élevage et l’atelier de mécanique fondé par Albert Fitzhubert en 1925) se trouvèrent en état de quasi faillite. Je dus me résoudre à vendre le domaine d’élevage, le manoir se réduisant ainsi à son jardin d’agrément. L’atelier de mécanique de Woodend devint quant à lui une entreprise spécialisée dans l’entretien et la réparation de matériel médical. Quant au Fairfaith Museum, il accueillit en 2023 son dernier visiteur.
Raymond Tyrus Lumley
En 2026, Nael di Faella, avide de tous les renseignements que je pouvais lui fournir au sujet de la tapisserie Sucharys et du manuscrit LaraDansil, en raison de ce qui lui était arrivé en Rem Érion, prit contact avec moi. Grâce aux nouvelles recherches auxquelles je me livrai à cette occasion dans Martingale Manor, je découvris les carnets où ma mère, Edith T. Fitzhubert-Waybourne, morte en 2014, transcrivait régulièrement les conversations quelle entretenait, jusqu’à sa mort en 1960, avec sa propre mère, Sara Waybourne.
Par l’intermédiaire de Nael di Faella, je fis aussi la connaissance d’Harald Langstrøm (le conservateur des deux musées de Copenhague, Endetidsmuseet et Andenverdensmuseet, respectivement consacrés aux œuvres de S-21 et de Dénoshay Énaïva),. Il me convainquit de participer à la rédaction de la présente synthèse portant principalement sur le manuscrit LaraDansil, et me persuada surtout de rouvrir les portes du Fairfaith Museum, élargi désormais à ces trois œuvres connexes que sont la tapisserie Sucharys et les poèmes illustrés d’Irma Waybourne (Ève de Poitiers). Qu’il en soit ici remercié.
Arbre généalogique
de la famille Fitzhubert-Waybourne-Lumley
+ : époux.
= : amant(e)s.
Encadré : ont successivement dirigé Martingale Manor.
– Le colonel Gaspar Fitzhubert de 1889 à 1931.
– Albert Fitzhubert de 1931 à 1961.
– Henry Percival Lumley de 1961 à 1989.
– Raymond Tyrus Lumley, à partir de 1989.
En chiffres gras : date d’une disparition.
– En rouge : disparues à Hanging Rock.
– En jaune : disparu en Nouvelle-Guinée en 1942, retrouvé sur l’île de Starbuck en 1944, disparu une seconde fois en 1950.
– En violet : porté disparu dans le nord de la France, présumé mort au combat.
– En bleu-vert : présumé en fuite, n’a jamais été retrouvé.
En orange : se sont procuré ou ont produit des documents dont la signification demeure en partie énigmatique.
En gris : ont laissé des témoignages importants sur certains aspects de l’histoire de la famille.
Chronologie succincte
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1886. Le colonel Gaspar Fitzhubert, officier de l’armée des Indes, achète le manuscrit LaraDansil dans la ville de Zahedan, au Balouchistan.
1889. Il se marie avec Amalia Cosgrove, et s’installe à Martingale Manor, près de Woodend, État de Victoria, Australie. Il aura trois enfants, Patrick, Sara et Albert, nés en 1890, 1892 et 1896.
14 février 1900, jour de la Saint Valentin. Jenaveve McCraw, sa maîtresse et intendante en titre de Martingale Manor depuis 1895, disparaît dans le chaos rocheux de Hanging Rock.
1913. Sara épouse Franck Waybourne, de Mount Macedon, dont elle aura quatre filles : Miranda, Marion, Irma et Edith, nées en 1917, 1920, 1921 et 1924.
19 juillet 1916. Patrick Fitzhubert, engagé volontaire dans la 5° division australienne, est porté disparu lors de l’attaque de la crête d’Aubers, à Fromelles (France). Son corps ne sera jamais retrouvé.
1918. Albert (Bertie) Fitzhubert épouse Virginia Whitehead, Il aura d’elle un fils, Michael, né en 1919.
1925. Albert Fitzhubert fonde à Woodend un atelier de réparation de camions et d’engins agricoles. En 1931, il succède à son père à la tête de l’exploitation d’élevage de Martingale Estate.
1929. Franck Waybourne disparaît sans laisser de traces. La police dit être arrivée à la conclusion qu’il s’est s’enfui avec un amant.
Le 14 février 1940, jour de la Saint Valentin, Miranda, Marion et Irma Waybourne disparaissent à Hanging Rock. Michael Fitzhubert retrouve deux jours plus tard sa cousine Irma amnésique, mais non ses deux sœurs aînées.
1941-1960. Sara Fitzhubert-Waybourne se consacre à la fabrication de la tapisserie Sucharys.
1941. Michael Fitzhubert, engagé dans l’armée australienne, est affecté au 2/14ème bataillon, 21ème brigade, 7ème division d’infanterie.
2 septembre 1942. Il est porté disparu lors de la bataille du Kokoda Trail, en Nouvelle-Guinée.
1944. Michael Fitzhubert est retrouvé, mutique et hébété, sur l’île inhabitée de Starbuck, archipel des Gilbert (actuelles Kiribati). Rapatrié en Australie, il est interné au Glenside Hospital d’Adelaïde.
1946. Edith Waybourne épouse Henry Percival Lumley.
1947. Irma Waybourne quitte Martingale Manor et devient professeure d’anglais à Melbourne.
14 février 1950. Michael Fitzhubert disparaît mystérieusement de la cellule capitonnée où il était enfermé dans l’asile psychiatrique d’Adélaïde.
1955. Irma Waybourne rencontre Ève de Poitiers, avec qui elle passera le reste de sa vie, se passionnant pour les sciences occultes et le folklore aborigène[10].
1960. Mort de Sara Waybourne.
1961. Albert Fitzhubert meurt d’une crise cardiaque. Henry Percival Lumley prend la succession de son oncle par alliance à la tête de Martingale Manor.
16 février 1983. Lors du grand incendie qui dévaste toute la région, Martingale Manor est épargné de justesse, mais le domaine d’élevage est pratiquement détruit. C’est le début de la décadence économique pour la famille Fitzhubert/Waybourne/Lumley.
1989. Raymond Tyrus Lumley succède à son père à la tête de Martingale Manor.
1991. Mort d’Irma Waybourne.
1991. Création, dans Martingale Manor, du Fairfaith Museum, et transformation du domaine en hôtel-résidence.
1996. Raymond Lumley décide de rechercher ce qu’est devenue sa tante Irma.
1998. Raymond Lumley rencontre Mademoiselle de Poitiers, dont il recueillera longuement le témoignage.
2012. Mort d’Ève de Poitiers.
2023. Fermeture du Fairfaith Museum.
Fin 2024. Le domaine (Martingale Estate) est vendu, et Martingale Manor lui-même réduit à l’étendue de son jardin d’agrément. En même temps, l’atelier de mécanique de Woodend, après une quasi faillite, se transforme en entreprise spécialisée dans la réparation et l’entretien de matériel médical.
Septembre 2026. Nael di Faella prend contact avec Raymond Lumley.
2027. Ce dernier, procédant à un tri systématique des documents relégués dans les greniers de Martingale Manor, découvre que sa mère Edith Waybourne-Fitzhubert, morte en 2014, a laissé de nombreuses notes permettant de préciser dans quel état d’esprit sa mère avait réalisé la tapisserie Sucharys.
2028. Harald Langstrøm déchiffre et fait traduire le manuscrit LaraDansil en quatre langues.
2029. Publication de LaraDansil et de Merriwollert aux Éditions de la Fin des Temps (de Copenhague).
2030. Le Fairfaith Museum agrandi rouvre ses portes.
Martingale Manor et le Fairfaith Museum
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Le Fairfaith Museum de Martingale Manor va bientôt renaître de ses cendres. De 1993 à 2023, il occupait le grand salon qui, après avoir été l’« antre » du colonel Fitzhubert, devint l’atelier de Sara Waybourne ; la tapisserie Sucharys et le métier à tisser de Sara Waybourne y étaient seuls exposés. En 2030, date prévue de sa réouverture, il sera à parts égales consacré au manuscrit LaraDansil, à la tapisserie Sucharys, et aux œuvres ésotériques et poétiques d’Irma Waybourne. Dans cette nouvelle configuration, il occupera la quasi totalité du rez-de-chaussée de Martingale Manor. Les hôtes de la partie résidentielle de Martingale Mansion auront libre accès aux salles d’exposition ainsi qu’aux jardins de la demeure.
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Raymond Lumley, 2028-2029
Note d’Helena Stang (2038)
En 2034, à ma demande et avec l’accord de Raymond Lumley, des répliques grandeur nature du manuscrit LaraDansil, du métier à tisser de Sara Waybourne et de la tapisserie Sucharys furent réalisées pour le compte d’Endetidsmuseet (le Musée de la Fin des Temps), où elles sont depuis lors exposées de façon permanente.
[1]. On trouvait dans cette île, à l’époque où y vécut S-21, le miza de Cétile Baufore, l’ensemble monumental d’Asparre Housée, la « crèche » de Dibèle Tolcarre, etc.
[2]. En raison de la montée générale du niveau des océans, cette ilôt, comme beaucoup d’autres, est aujourd’hui totalement submergé. [Note d’Helena Stang, 2039]
[3]. Dans Merriblinte, aucune référence explicite n’étant d’ailleurs faite à la planète Énantia, ou aux deux îles jumelles de LaraShukun de BénielDansil.
[4]. Les phalangers sont des petits mammifères australiens, parfois improprement appelés opposums, qui jouaient un grand rôle dans l’imaginaire des tribus aborigènes.
[5]. Je suis pratiquement certain que, malgré les dénégations véhémentes de son amie, Irma Waybourne n’est pas l’unique auteure d’Einganjea ; j’y vois plutôt le résultat d’une intime collaboration des deux amantes. Fait digne d’être noté, deux exemplaires, ou plus exactement, deux versions d’Einganjea ont dès l’origine existé, la première rédigée en anglais et la seconde, propriété personnelle d’Ève de Poitiers, en langue française. C’est d’ailleurs la seule dont nous disposions aujourd’hui.
[6]. Dans la mythologie des Aborigènes d’Australie, Eingana est une déesse créatrice de nombreuses espèces animales, ainsi que de l’humanité ; elle est aussi une déesse-serpent de la mort (et par là même associée à Myndie, le serpent arc-en-ciel de Merriblinte), vivant dans le temps du rêve (dreamtime). Elle maintient en effet un lien entre elle et toutes les créatures animées qu’elle a créées ; si ce lien vient à être rompu, la créature qui y était attachée meurt. Anjea est de son côté un esprit de la fertilité ; elle crée les nouveaux-nés à partir de poussière, puis les place dans la matrice des futures mères.
[7]. Il est intéressant de remarquer qu’Hélène Smith, la medium genevoise qui entra en communication avec l’archipel d’Espénié (qu’elle prenait pour la planète Mars), croyait aux réincarnations. Une telle croyance cependant ne semble pas partagée par les habitants d’Énantia, ceux du moins que connut S-21 lors de sa visite en Espénié.
[8]. Selon les légendes des tribus Gunaï qui vivaient dans le Gippsland, un territoire situé à l’est de Melbourne, le/la Nargun est une créature féroce mi-humaine mi-rocheuse qui vit dans une caverne dissimulée derrière une des chutes d’eau de la rivière Mitchell. Lors des grands feux de camp claniques, les adultes racontaient que le/la Nargun enlevait les enfants qui s’aventuraient dans sa caverne. Ils disaient également que le/la Nargun ne pouvait être blessé ni par les boomerangs ni par les flèches, ces projectiles étant immanquablement retournés à l’envoyeur. Ces histoires avaient pour but de tenir les jeunes éloignés de la caverne sacrée : ce lieu entouré d’eau, proche par son apparence de Korweinguboora (« le coassement de la grenouille »), servait à l’initiation des jeunes filles. L’antre du Nargun (et par voie de conséquence le Nargun lui/elle-même) était une sorte de contraire/complémentaire de Hanging Rock (où les Wurundjeri initiaient leurs jeunes garçons). Notons que les Gunaï étaient généralement hostiles aux Wurundjeri, et que beaucoup de Gunaï s’opposèrent très tôt à l’installation des Blancs, ce qui entraîna de nombreuses confrontations, alors que les Wurundjeri maintinrent presque toujours une attitude pacifique à l’égard des colons.
[9]. Je ne suis pas parvenu à savoir si cette/ce Nargun était un personnage rêvé, une métaphore, ou si Ève de Poitiers croyait qu’une femme bisexuelle avait réellement interféré dans l’existence « antérieure » qu’elles avaient, elle et Irma Waybourne, mené dans un Paris de rêve ; et que cette même empêcheuse de tourner en rond interviendrait dans l’existence « postérieure » qu’elles mèneraient à l’intérieur d’immenses et étranges serres.
[10]. Elles vivront ensemble à partir de 1958.







































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