Les mots de la transe

 

 

 

 

Théodore Flournoy à sa table de travail, 9, route de Florissant

 

 

 

Theodore Flournoy couverture

 

 

 

Préface

 

 

 

[V] Le double titre de cet ouvrage en marque le caractère mixte et défectueux. À l’origine, ce devait être une Étude sur un cas de somnambulisme, c’est-à-dire une courte monographie, visant uniquement à l’exactitude, et limitée aux quelques faits de nature à intéresser les psychologues et physiologistes. Mais les circonstances en ont décidé autrement. Certaines polémiques locales, l’impossibilité évidente de restreindre aux spécialistes seuls la connaissance d’un cas auquel s’attachait déjà la curiosité d’un public plus étendu, d’autres considérations encore, m’ont fait dévier de mon plan purement scientifique pour orienter mon étude vers la vulgarisation. Si au moins j’en avais franchement pris mon parti en renonçant d’emblée à toute rigueur de méthode ! Si je m’étais appliqué à extraire d’un cas complexe, où l’on passe sans cesse des Indes à la planète Mars et à d’autres choses aussi imprévues, tout ce qu’il comportait d’intérêt anecdotique, de réflexions morales, de rapprochements historiques et de ressources littéraires ! Mais je n’ai pas su le faire. Je suis resté l’esclave, partagé et indécis, des directions opposées entre lesquelles il eût fallu choisir. J’ai couru deux lièvres à la fois, et l’on sait ce qu’il en advient !

Telle est la genèse de ce livre, d’une longueur hors de proportion avec l’importance de son contenu. Trop hérissé de [VI] termes techniques et de barbares interprétations pour rien dire aux gens du monde, trop rempli d’explications élémentaires et banales pour mériter l’attention des hommes du métier, il n’a ni la forme qu’il faut aux premiers, ni le fond que les seconds sont en droit d’exiger. Je le publie néanmoins — comme un exemple à ne pas suivre — afin de ne plus avoir à y penser, et en me consolant à l’idée qu’après tout personne n’est obligé de l’acheter ni de le lire.

Cela dit pour soulager ma conscience d’auteur, il me reste le devoir beaucoup plus doux d’exprimer ma reconnaissance à ceux qui m’ont aidé dans ma tâche.

Je tiens à mentionner en premier lieu mon excellent collègue M. le professeur Auguste Lemaître, dont j’aurais presque dû inscrire le nom à côté du mien en tête de cette étude, tant elle est à divers égards un produit de notre commune collaboration. M. Lemaître, qui m’a fait faire la connaissance du remarquable médium dont les phénomènes remplissent les pages suivantes, l’a observé et suivi depuis près de six ans avec une assiduité égale à la mienne, et m’a laissé profiter sans restriction, non seulement de ses notes et documents, mais, chose plus précieuse encore, de ses impressions personnelles d’observateur sagace et de psychologue pénétrant[1]. Il a bien voulu aussi revoir la plupart des épreuves de ce livre ; cependant, ma paresse ou mon entêtement n’ayant pas toujours tenu compte de ses corrections, on ne doit point le rendre responsable des fautes d’orthographe et de style qui émaillent encore ma prose. Quant aux idées, quoique en dépit d’un fréquent échange de vues nous ne soyons pas arrivés à nous mettre d’accord sur tous les points de détail (ce qui n’a rien d’étonnant en ces matières), nous ne différons guère, je le crois, sur la façon générale de comprendre et d’interpréter le présent cas. Aussi M. Lemaître est-il absolument hors de cause, il est bon de le dire une fois pour toutes, dans [VII] les allusions qu’il m’est arrivé de faire ici et là à l’adresse de l’entourage ou des amis spirites du médium.

Eugène Demote, docteur ès sciences, le savant numismate et directeur de la Revue suisse de photographie, qui a assisté à beaucoup de nos séances, a eu l’amabilité d’y prendre un bon nombre de clichés d’attitudes et de scènes somnambuliques, dont la personne intéressée n’a malheureusement pas autorisé la publication, par un scrupule de réserve et de modestie devant lequel nous ne pouvions que nous incliner. — M. Charles Roch a bien voulu se charger de la tâche ingrate de tenir le procès-verbal dans la plupart de nos réunions. — Je dois à l’extrême obligeance de M. le professeur Cuendet, vice-président de la Société d’études psychiques de Genève, la communication de plusieurs documents et d’observations marquées au coin d’un parfait bon sens. Malgré la différence inévitable de nos points de vue, les rapports que j’ai eus avec lui ont toujours été empreints de la plus franche cordialité. — Mon frère, M. Edmond Flournoy, m’a rendu de grands services par ses recherches bibliographiques étendues. De nombreuses personnes encore, que je regrette de ne pouvoir nommer toutes ici, m’ont fourni d’utiles renseignements sur les faits dont je n’ai pu être personnellement témoin.

Pour l’étude des données arabes et hindoues dont il sera question au chapitre VII, j’ai eu recours aux lumières de plusieurs orientalistes de notre pays. Ce sont M. Léopold Favre et M. le professeur Lucien Gautier, à Genève ; M. Auguste Glardon, ancien missionnaire aux Indes et associé honoraire de la Society for Psychical Research de Londres, à La Tour-de-Peilz (Vaud) ; et mes distingués collègues de l’université de Genève, MM. E. Montet, professeur d’arabe, P. Oltramare, professeur d’histoire des religions, et Ferdinand de Saussure, professeur de sanscrit. Par l’intermédiaire de ces messieurs, j’ai également obtenu les appréciations de deux éminents indianistes étrangers, MM. A. Barth, à Paris, et C. Michel, à Liège. Que tous ces savants veuillent bien recevoir ici l’expression de ma gratitude et me pardonner la liberté que j’ai prise de citer divers passages de [VIII] leurs lettres qui m’ont paru jeter un jour instructif sur les points en litige. Je tiens à remercier très spécialement M. de Saussure de la patience et de l’inépuisable complaisance qu’il a apportées à l’examen de nos textes « hindous ».

C’est enfin et avant tout au médium lui-même, à Mlle Hélène Smith, l’héroïne de ce livre, que j’ai à cœur de témoigner ma reconnaissance — et celle du lecteur — pour la permission d’imprimer qu’elle a bien voulu octroyer à ce travail. Car il n’est pas superflu d’attirer l’attention sur le fait que je me trouvais ici en présence d’un délicat problème de déontologie professionnelle. Les médecins n’éprouvent aucune hésitation à faire paraître dans leurs journaux spéciaux, à la réserve des noms propres, les cas intéressants qu’ils rencontrent au cours de leur pratique hospitalière ou de leur clientèle privée ; il est admis que ce droit de propriété scientifique leur revient en sus (et quelquefois comme succédané) de leurs honoraires, et le bon public ne s’en émeut point. Les expérimentateurs aussi qui travaillent avec des sujets payés se sentent les libres propriétaires des observations qu’ils ont pu recueillir, et toute latitude leur est laissée de les publier sans avoir égard aux convenances des individus d’où elles proviennent. Mais il n’en est point de même du pauvre psychologue aux prises avec des personnes non malades, plongées dans la vie sociale ordinaire, qui livrent leurs phénomènes étranges par pure bonne volonté, et dont lesdits phénomènes sont si frappants, si admirés d’un nombreux entourage, qu’il ne saurait être question d’en publier la moindre parcelle sans que cela se sache rapidement et que le sujet décrit soit facilement reconnu de beaucoup de lecteurs. Comment agir en pareil cas ? A-t-on le droit, vis-à-vis de la science et de la vérité, de se désintéresser complètement des choses instructives dont on est témoin, et de se renfermer dans un prudent mutisme sur des faits où les badauds, eux, ne se feront aucun scrupule d’avoir et d’émettre des opinions d’autant plus tranchées qu’elles sont peu éclairées ? A-t-on le droit, vis-à-vis des personnes, de livrer à une publicité indéfinie, et sous un jour qui n’est pas forcément [IX] celui auquel elles étaient accoutumées, des faits confinés jusque-là dans un cercle limité d’amis et de connaissances ? Questions bien embarrassantes. En attendant que l’usage ait établi sur ce point des règles précises, je me suis arrêté au parti le plus simple, qui consistait à soumettre mon manuscrit ou mes épreuves au médium lui-même, et à n’imprimer qu’avec son assentiment.

Il est clair que je n’aurais pas songé à une telle entreprise avec n’importe qui. Car d’une part il ne pouvait être question pour moi d’abdiquer en rien ma liberté, tant de penser que d’écrire conformément à mes idées ; or combien y a-t-il, d’autre part, de médiums qui accepteraient de voir leurs phénomènes exposés et expliqués d’une façon à peu près scientifique, c’est-à-dire bien différente de la manière qui prévaut généralement dans les milieux spirites où leurs facultés se sont développées ? Dans le cas particulier, heureusement, la difficulté me semblait moindre, grâce au caractère élevé et distingué du médium avec qui j’avais affaire. Mlle Smith me semblait en effet une personne remarquablement intelligente et bien douée, fort au-dessus des préjugés ordinaires, très large et indépendante d’idées, et capable en conséquence de consentir, par simple amour de la vérité et du progrès des recherches, à ce que l’on fît de sa médiumité une étude psychologique, au risque d’aboutir à des résultats peu conformes à ses impressions personnelles et à l’opinion de son milieu.

Mes espérances n’ont pas été déçues. Sans doute Mlle Smith a manifesté plus d’une fois un certain étonnement de ma façon d’interpréter les phénomènes les plus singuliers de sa médiumité ; elle est loin d’être d’accord avec mes conclusions ; elle taxe même sévèrement mes procédés d’analyse, et elle estime que souvent je « dénature » les faits à force de vouloir les ramener à mes explications ordinaires de prosaïque psychologue ; bref, ses jugements sont en maints endroits, et sur des points capitaux, en éclatante opposition avec les miens. C’était à prévoir. Mais, et c’est ici le fait sur lequel je désire insister, elle n’a point pris occasion de ces inévitables différences d’appré[X]ciation pour entraver le moins du monde mon étude et tenter de restreindre ma liberté. Même dans les cas où notre désaccord devait lui être le plus sensible, elle a fait preuve d’une tolérance scientifique, d’une hauteur de vues, et je dirai d’une abnégation, que l’on ne rencontre certes pas souvent. Elle a ainsi rendu ce travail non seulement possible, mais relativement aisé, ce dont je tiens à lui exprimer ici mes sincères et vifs remerciements.

Encore un mot sur mes rares citations d’auteurs. La littérature considérable concernant l’hypnotisme et la psychopathologie, sans parler de la psychologie normale ni de l’histoire du spiritisme ou des sciences occultes, m’aurait facilement fourni de nombreux rapprochements à propos d’un cas touchant à toutes ces branches, et j’eusse pu accumuler au bas des pages, sans m’écarter de mon sujet, des renvois à plusieurs centaines d’ouvrages ou articles divers. J’ai préféré me priver de ce plaisir — ou m’épargner cette peine ! — afin de ne pas alourdir encore un volume déjà trop gros, et me suis borné aux quelques indications bibliographiques qui me revenaient comme d’elles-mêmes à la mémoire. Il est cependant quelques théories, d’ailleurs parentes et en partie coïncidentes, que je tiens à rappeler parce que, sans peut-être les citer jamais explicitement, je leur ai constamment emprunté leurs expressions, leurs vues, leurs métaphores, qui sont du reste plus ou moins entrées dans le domaine commun au point qu’il serait malaisé de s’en passer en pratique. Je veux spécialement parler de la désagrégation mentale de M. P. Janet, du double-moi de M. Dessoir, des états hypnoïdes de MM. Breuer et Freud, et surtout de la conscience subliminale de M. Myers[2]. Je n’avais point à exposer ici des théories, ni à les discuter dans leurs rapports et leur valeur respective ; la dernière particulièrement, celle de M. Myers, dépasse tellement le niveau d’une [XI] conception scientifique ordinaire, pour prendre les hautes envolées et l’allure parfois mystique d’une véritable métaphysique (ce dont je suis loin de lui faire un reproche), que ce n’est pas à l’occasion d’un cas individuel que l’on peut songer à l’apprécier, ce que je serais au surplus fort embarrassé de faire. Mais je voulais au moins nommer ces théories dans cette préface, en reconnaissance de tout ce que je leur dois de précieuses suggestions et de formules commodes.

 

Florissant, près Genève, novembre 1899.                                T. F.

 

 

 

Theodore Flournoy

 

 

 

P. S. — Bien que j’attache peu d’importance aux définitions nominales — trop peu sans doute, car je crois avoir souvent manqué de conséquence et de fixité dans mon vocabulaire —, il ne me paraît pas inutile de donner au lecteur non spécialiste de brèves indications sur quelques termes qui reviennent fréquemment sous ma plume.

Le mot de médium s’applique dans les milieux spirites à tout individu qui est censé pouvoir servir d’intermédiaire entre les vivants et les esprits des morts ou autres. Comme c’est un inconvénient, pour l’exposition scientifique des faits, d’employer une terminologie impliquant des affirmations dogmatiques discutables, les psychologues anglais et américains, gens pratiques, substituent volontiers au mot de médium celui d’automatiste, qui ne préjuge rien et désigne simplement les personnes présentant des phénomènes d’automatisme — c’est-à-dire involontaires et souvent ignorés du sujet, quoique empreints d’intelligence — où les spirites voient l’intervention des esprits désincarnés (songes significatifs, hallucinations véridiques, écriture mécanique, dictées par la table, etc.). En attendant qu’automatiste soit reçu en français, j’ai conservé le terme de médium, mais abstraction faite de son sens étymologique et de toute hypothèse spirite, comme un vocable commode pour désigner les personnes présentant les susdits phénomènes, quelle que soit d’ailleurs l’explication véritable de ces derniers.

À médium se rattachent médianimique, médianimisme, qui suggèrent encore plus fortement cette idée d’âmes intermédiaires (media anima) ayant la faculté d’entrer en rapport avec les habitants de l’autre monde ; et médiumnité, médiumnisme, etc., qui conservent jusque dans leur n un visage étymologique de cette même doctrine. Il m’a paru préférable, puisque je prenais le mot de médium en le dépouillant de son sens dogmatique, d’en former directement (c’est-à-dire sans l’introduction de cette n grosse de sous-entendus spirites) les dérivés médiumique, médiumité, etc., à l’exemple des Allemands qui emploient déjà Mediumität. Cela n’exclut pas d’ailleurs l’usage occasionnel de médianimique, médiumnité, etc., lorsqu’on tient à évoquer spécialement le souvenir des théories spirites.

[XII] Les mots subliminal (sub limen ; unter der Schwelle ; sous le seuil) et subconscient, ou sous-conscient, sont pratiquement synonymes et désignent les phénomènes et processus qu’on a quelque raison de croire conscients, bien qu’ils soient ignorés du sujet parce qu’ils ont lieu pour ainsi dire au-dessous du niveau de sa conscience ordinaire. La question reste naturellement ouverte de savoir si et jusqu’à quel point, dans chaque cas particulier, ces processus cachés sont vraiment accompagnés de conscience ou se réduisent au pur mécanisme de la « cérébration inconsciente », auquel cas l’expression « conscience subliminale » ne peut plus leur être appliquée que métaphoriquement, ce qui n’est point une raison pour la bannir.

L’adjectif onirique (du grec oneiron, « rêve ») est actuellement reçu en français ; peut-être est-il regrettable que le mot, moins savant mais plus clair, de rêverique, qui a été parfois employé[3], n’ait pas prévalu.

Par cryptomnésie enfin, j’entends le fait que certains souvenirs oubliés reparaissent sans être reconnus du sujet, qui croit y voir quelque chose de nouveau. Dans les communications ou messages fournis par les médiums, la première question (mais non la seule) qui se pose est toujours de savoir si, là où les spirites font intervenir les désincarnés ou quelque autre cause supranormale, on n’a pas simplement affaire à de la cryptomnésie, à des souvenirs latents du médium qui ressortent, très défigurés parfois par un travail subliminal d’imagination ou de raisonnement, comme cela arrive si souvent dans nos rêves ordinaires.

 

 

Elise Muller (Helene Smith)

 

 

 

CHAPITRE PREMIER

 

 

Introduction et aperçu général

 

 

 

[1] Au mois de décembre 1894, je fus invité par M. Auguste Lemaître, professeur au Collège de Genève, à assister chez lui à quelques séances d’un médium non professionnel et non payé, dont on m’avait déjà vanté de divers côtés les dons extraordinaires et les facultés apparemment supranormales. Je n’eus garde, comme bien l’on pense, de laisser échapper une telle aubaine, et me trouvai au jour dit chez mon aimable collègue.

Le médium en question, que j’appellerai Mlle Hélène Smith, était une grande et belle personne d’une trentaine d’années, au teint naturel, à la chevelure et aux yeux presque noirs, dont le visage intelligent et ouvert, le regard profond mais nullement extatique, éveillaient immédiatement la sympathie. Rien de l’aspect émacié ou tragique qu’on prête volontiers aux sibylles antiques, mais un air de santé, de robustesse physique et mentale, faisant plaisir à voir et qui n’est point d’ailleurs un fait très rare chez les bons médiums.

Dès que nous fûmes au complet, nous nous assîmes en cercle, les mains sur la traditionnelle table ronde des groupes spirites, et bientôt Mlle Smith, qui possédait la [2] triple médiumité voyante, auditive et typtologique[4], se mit à décrire de la façon la plus naturelle les apparitions variées qui surgissaient à ses yeux dans la douce pénombre de la chambre. Par moment, elle s’interrompait pour écouter ; quelque nom résonnant à son oreille et qu’elle nous répétait avec étonnement, ou de laconiques indications épelées en coups frappés par la table, venaient compléter ses visions en précisant leur signification. Pour ne parler que de ce qui me concerne (car nous fûmes trois à partager les honneurs de cette soirée), je ne fus pas peu surpris de reconnaître, dans les scènes que Mlle Smith vit se dérouler dans l’espace vide au-dessus de ma tête, des événements de ma propre famille antérieurs à ma naissance. D’où pouvait donc venir à ce médium, que je rencontrais pour la première fois, la connaissance de ces incidents anciens, d’ordre privé et à coup sûr bien ignorés de la génération présente ? Les prouesses retentissantes de Mme Piper, l’illustre médium bostonien dont la géniale intuition lit dans les souvenirs latents de ses visiteurs comme en un livre ouvert, me revinrent à la mémoire, et je sortis de cette séance avec un renouveau d’espoir — l’espoir si souvent déçu, vestige des curiosités enfantines et de l’attrait du merveilleux, qui rêve de se trouver enfin une bonne fois face à face avec du « supranormal », mais du vrai et de l’authentique : télépathie, clairvoyance, manifestation spirite, ou autre chose, n’importe quoi, pourvu que cela sorte décidément de l’ordinaire et fasse sauter tous les cadres de la science établie.

Sur le passé de Mlle Smith, je n’obtins à cette époque que des renseignements sommaires, mais tout à fait favorables et que la suite n’a fait que confirmer.

D’une situation modeste, et d’une irréprochable moralité, elle gagnait honorablement sa vie comme employée [3] dans une maison de commerce où son travail, sa persévérance et ses capacités l’avaient fait arriver à l’un des postes les plus importants. Il y avait trois ans qu’initiée au spiritisme et introduite par une amie dans un cercle intime où l’on interrogeait la table, on s’était presque aussitôt aperçu de ses remarquables facultés « psychiques ». Depuis lors elle avait fréquenté divers groupes spirites. Sa médiumité avait dès le début présenté le type complexe que j’ai décrit tout à l’heure, et ne s’en était jamais écartée des visions en état de veille, accompagnées de dictées typtologiques et d’hallucinations auditives. Au point de vue de leur contenu, ces messages avaient pour la plupart porté sur des événements passés, ordinairement ignorés des personnes présentes, mais dont la réalité s’était toujours vérifiée en recourant soit aux dictionnaires historiques, soit aux traditions des familles intéressées. À ces phénomènes de rétrocognition ou d’hypermnésie, s’étaient jointes occasionnellement, suivant les séances et les milieux, des exhortations morales dictées par la table, en vers plus souvent qu’en prose, à l’adresse des assistants ; des consultations médicales avec prescriptions de remèdes généralement heureux ; des communications de parents ou d’amis récemment décédés ; enfin des révélations aussi piquantes qu’invérifiables sur les antériorités (c’est-à-dire les existences antérieures) des assistants, lesquels, presque tous spirites convaincus, n’avaient été qu’à demi étonnés d’apprendre qu’ils étaient la réincarnation qui de Coligny, qui de Vergniaud, qui de la princesse de Lamballe ou d’autres personnages de marque.

Il convient enfin d’ajouter que tous ces messages paraissaient plus ou moins liés à la présence mystérieuse d’un « esprit » répondant au nom de Léopold, qui se donnait pour le guide et le protecteur du médium.

Je ne tardai pas à faire plus ample connaissance avec Hélène Smith. Elle voulut bien venir donner des séances [4] chez moi, alternant d’une façon plus ou moins régulière avec celles qu’elle avait chez M. Lemaître et dans quelques autres familles, en particulier chez M. le professeur Cuendet, vice-président de la Société [spirite] d’études psychiques de Genève. Ces divers milieux ne constituent point des groupes absolument séparés et exclusifs les uns des autres, car leurs membres se sont souvent mutuellement conviés à leurs réunions respectives. C’est ainsi que j’ai pu assister à la plupart des séances d’Hélène au cours de ces cinq années. Les observations personnelles que j’y ai recueillies, complétées par les notes que MM. Lemaître et Cuendet ont eu l’obligeance de me fournir sur les réunions auxquelles je n’étais pas présent, constituent la base principale de l’étude qui va suivre. Il y faut joindre quelques lettres de Mlle Smith, et surtout les nombreuses et très intéressantes conversations que j’ai eues avec elle, soit avant ou après les séances, soit dans les visites que je lui ai faites à son domicile, où j’avais l’avantage de pouvoir également causer avec sa mère. Enfin, divers documents et renseignements accessoires, qui seront cités en leurs temps et lieu, m’ont permis d’élucider en partie certains points obscurs. Mais tant s’en faut qu’avec toutes ces voies d’informations je sois arrivé à débrouiller d’une manière satisfaisante les phénomènes complexes qui constituent la médiumité d’Hélène. Leur enchevêtrement est tel, leurs racines sont si profondément cachées dans le passé de sa vie, leur interprétation est si délicate, que j’ai le sentiment d’y avoir souvent perdu mon latin — je veux dire ma psychologie, car, en fait de langues, ce n’est pas de latin qu’il est question en cette affaire, comme on le verra.

À partir de l’époque où je fis la connaissance de Mlle Smith, c’est-à-dire dès l’hiver 1894-1895, beaucoup de ses communications spirites continuèrent à présenter les caractères de forme et de contenu que j’ai indiqués tout à l’heure, mais il se produisit cependant dans sa médiumité une double modification importante.

[5] 1. D’abord au point de vu de sa forme psychologique.

Tandis que, jusque-là, Hélène n’avait que des automatismes partiels — hallucinations visuelles, auditives, typtomotrices — compatibles avec une certaine conservation de l’état de veille et n’entraînant pas d’altérations notables de la mémoire, il lui arriva dès lors, et de plus en plus fréquemment, de perdre entièrement sa conscience normale et de ne retrouver, en revenant à elle, aucun souvenir de ce qui venait de se passer pendant la séance. En termes physiologiques, l’hémisomnambulisme sans amnésie auquel elle en était restée jusque-là, et que les assistants prenaient pour l’état de veille ordinaire, se transforma en somnambulisme total, avec amnésie consécutive. En langage spirite, Mlle Smith devint complètement intrancée, et, de simple médium voyant ou auditif qu’elle était, elle passa au rang supérieur de médium à incarnations.

Je crains que ce changement ne doive m’être en grande partie imputé, puisqu’il a suivi de près mon introduction aux séances d’Hélène. Ou du moins, si le somnambulisme devait fatalement se développer un jour en vertu d’une prédisposition organique et de la tendance facilement envahissante des états hypnoïdes, il est cependant probable que j’ai contribué à le provoquer, et en ai hâté l’apparition, par ma présence et les petites expériences que je me permis sur Hélène.

On sait, en effet, que les médiums sont volontiers entourés d’une auréole de vénération qui les rend intangibles. Il ne viendrait à l’idée de personne, dans les cercles bien pensants où ils exercent leur sacerdoce, de toucher à leur peau, surtout avec une épingle, ni même de leur palper ou pincer les mains pour tâcher de voir ce qu’il en est de leurs fonctions sensitives et motrices. Le silence et l’immobilité sont de rigueur pour ne pas troubler le déroulement spontané des phénomènes ; tout au plus se permet-on quelques questions ou remarques à l’occasion des messages obtenus ; [6] à plus forte raison ne s’y livre-t-on à aucune manipulation sur le médium. Mlle Smith avait toujours été entourée de cette respectueuse considération. Pendant les trois premières séances auxquelles je pris part, je me conformai strictement à l’attitude passive et purement contemplative des autres assistants, et me tins assez joliment coi et tranquille. Mais, à la quatrième réunion, ma sagesse fut à bout. Je ne résistai pas à l’envie de me rendre compte de l’état physiologique de ma charmante visionnaire, et j’entrepris quelques expériences fort élémentaires sur ses mains qui reposaient gracieusement étalées vis-à-vis de moi sur la table. Le résultat de ces essais, repris et poursuivis à la séance suivante (3 février 1895), fut de montrer qu’il existe chez Mlle Smith, pendant qu’elle a ses visions, toute une collection de troubles très variés de la sensibilité et de la motilité, qui avaient jusque-là échappé aux assistants[5], et qui sont foncièrement identiques à ceux qu’on observe d’une façon plus permanente chez les hystériques ou qu’on peut momentanément produire par la suggestion chez les sujets hypnotisés.

Il n’y a rien là d’étonnant et l’on pouvait s’y attendre. Mais une conséquence que je n’avais point prévue fut que, quatre jours après cette seconde séance d’expérimentation bien anodine, Mlle Smith, pour la première fois[6] s’endormit complètement à une réunion chez M. Cuendet (7 février), à laquelle je n’étais point présent. Les assistants furent quelque peu effrayés lorsque, essayant de la réveiller, ils constatèrent la rigidité de ses bras contracturés ; mais Léopold, parlant par la table sur laquelle Hélène était appuyée, les rassura et leur apprit que ce [7] sommeil n’était point préjudiciable au médium. Après diverses attitudes et une mimique souriante, Mlle Smith se réveilla d’excellente humeur, conservant comme dernier souvenir de son rêve celui d’un baiser de Léopold qui l’avait embrassée sur le front.

À partir de ce jour, les somnambulismes d’Hélène furent la règle, et les séances où elle ne s’endort pas complètement, au moins pendant quelques moments, ne forment que de rares exceptions au cours de ces quatre dernières années. Pour Mlle Smith, c’est une privation que ces sommeils dont il ne lui reste ordinairement aucun souvenir au réveil, et elle regrette les réunions du bon vieux temps, où les visions se déroulant devant son regard éveillé lui fournissaient un spectacle inattendu et toujours renouvelé qui faisait de ces séances une partie de plaisir. Pour les assistants, en revanche, les scènes de somnambulismes et d’incarnations, avec les phénomènes physiologiques divers, catalepsie, léthargie, contractures, etc., qui s’y entremêlent, ajoutent une grande variété et un puissant intérêt de plus aux très remarquables et instructives productions médiumiques d’Hélène Smith.

Le plus entraîne aussi le moins, quelquefois. Avec les accès de complet somnambulisme, et dans le même temps, sont apparues de nouvelles formes et d’innombrables nuances d’hémisomnambulisme. Le triple genre d’automatisme qui distinguait déjà Mlle Smith dans les premières années de ses pratiques spirites a été bien vite dépassé à partir de 1895, et il n’est pour ainsi dire aucun mode principal de médiumité psychique dont elle n’ait fourni de curieux échantillons. J’aurai l’occasion d’en citer plusieurs dans la suite de ce travail. Sans doute son répertoire ne contient pas toutes les variétés et qualités secondaires d’automatisme qui ont été observées ici ou là ; on ne peut demander l’impossible. Mais, à l’exception des phénomènes dits « physiques » qui paraissent nuls ou sont du moins très douteux chez Hélène, elle constitue le plus [8] bel exemple que j’aie jamais rencontré, et réalise certainement à un très haut degré l’idéal, de ce qu’on pourrait appeler le médium polymorphe ou multiforme, par opposition aux médiums uniformes, dont les facultés ne s’exercent guère que sous une seule espèce d’automatisme.

2. Une modification analogue à celle que je viens d’indiquer dans la forme psychologique des messages, c’est-à-dire un développement en richesse et en profondeur, se produisit vers le même moment dans leur contenu.

À côté des petites communications complètes en une fois, indépendantes les unes des autres et comme égrenées, qui remplissaient chez Hélène une bonne partie de chaque séance et ne différenciaient en rien ses facultés de celles de la plupart des médiums, il s’était, dès le début, manifesté chez elle une tendance marquée à une systématisation supérieure et à un plus grand enchaînement des visions ; c’est ainsi qu’à diverses reprises déjà on avait vu certaines communications se poursuivre à travers plusieurs séances, et n’arriver à leur terminaison qu’au bout de bien des semaines. Mais, à l’époque où je fis la connaissance de Mlle Smith, cette tendance à l’unité s’affirma avec plus d’éclat. On vit éclore et se développer peu à peu plusieurs longs rêves somnambuliques, dont les péripéties se déroulèrent pendant des mois, puis des années, et durent encore ; sortes de romans de l’imagination subliminale, analogues à ces « histoires continues »[7] que tant de gens se racontent à eux-mêmes, et dont ils sont généralement les héros, dans leurs moments de farniente ou d’occupations routinières qui n’offrent qu’un faible obstacle aux rêveries intérieures. Constructions fantaisistes, mille fois reprises et poursuivies, rarement achevées, où la folle du logis se donne libre carrière et prend sa revanche du terne et plat terre-à-terre des réalités quotidiennes.

[9] Mlle Smith n’a pas moins de trois romans somnambuliques distincts. Si l’on y ajoute l’existence de cette seconde personnalité, que j’ai déjà laissé entrevoir et qui se révèle sous le nom de Léopold dans la plupart de ses états hypnoïdes, on est en présence de quatre créations subconscientes de vaste étendue, qui ont évolué parallèlement depuis plusieurs années, se manifestant en alternances irrégulières au cours de séances différentes et souvent aussi dans la même séance. Elles ont sans doute des origines communes dans le tréfonds d’Hélène, et elles ne se seront pas développées sans s’influencer réciproquement et contracter certaines adhérences au cours du temps ; mais — à supposer même qu’il n’y faille voir en dernier ressort que les ramifications d’un seul tronc, ou les parties ébauchées d’un tout dont la synthèse s’achèvera un jour (si elle n’est déjà accomplie dans quelque couche subliminale encore inconnue) — en pratique du moins et en apparence ces constructions imaginatives présentent une indépendance relative et une diversité de contenu assez grandes pour qu’il convienne de les étudier séparément. Je me bornerai en cet instant à en donner une vue générale.

Deux de ces romans se rattachent à l’idée spirite des existences antérieures. Il a été révélé, en effet, qu’Hélène Smith a déjà vécu deux fois sur notre globe. Il y a cinq cents ans, elle était la fille d’un cheik arabe et devint, sous le nom de Simandini, l’épouse préférée d’un prince hindou, nommé Sivrouka Nayaka, lequel aurait régné sur le Kanara et construit en 1401 la forteresse de Tchandraguiri. Au siècle dernier, elle réapparut sous les traits de l’illustre et infortunée Marie-Antoinette. Réincarnée actuellement, pour ses péchés et son perfectionnement, dans l’humble condition d’Hélène Smith, elle retrouve en certains états somnambuliques le souvenir de ses glorieux avatars de jadis, et redevient momentanément princesse hindoue ou reine de France.

Je désignerai sous les noms de cycle hindou ou oriental [10] et de cycle royal l’ensemble des manifestations automatiques relatives à ces deux antériorités.

J’appellerai de même cycle martien le troisième roman, dans lequel Mlle Smith, grâce aux facultés médianimiques qui sont l’apanage et la consolation de sa vie présente, a pu entrer en relation avec les gens et les choses de la planète Mars et nous en dévoiler les mystères. C’est surtout dans ce somnambulisme astronomique que se sont produits les phénomènes de glossolalie, de fabrication et d’emploi d’une langue inédite, qui sont l’un des principaux objets de cette étude ; on verra cependant que des faits analogues se sont également présentés dans le cycle hindou.

Quant à la personnalité de Léopold, elle entretient des rapports fort complexes avec les créations précédentes. D’une part elle se rattache très étroitement au cycle royal, par le fait que ce nom même de Léopold n’est qu’un pseudonyme sous lequel se dérobe en réalité le célèbre Cagliostro, qui s’était, paraît-il, éperdument épris de la reine Marie-Antoinette et qui, actuellement désincarné et flottant dans les espaces, s’est constitué l’ange gardien en quelque sorte de Mlle Smith, depuis qu’après bien des recherches il a enfin retrouvé en elle l’auguste objet de sa passion malheureuse d’il y a un siècle. D’autre part, ce rôle de protecteur et de conseiller spirituel qu’il joue auprès d’Hélène lui confère une place privilégiée dans ses somnambulismes. Il est plus ou moins mêlé à la plupart d’entre eux ; il y assiste, les surveille, et peut-être les dirige jusqu’à un certain point. C’est ainsi qu’on le voit parfois, au milieu d’une scène hindoue ou martienne, manifester sa présence et dire son mot par des mouvements caractéristiques de la main. En somme — tantôt se révélant dans les coups frappés de la table, les tapotements d’un doigt, ou l’écriture automatique, tantôt s’incarnant complètement et parlant de sa voix par la bouche de Mlle Smith intrancée —, Léopold remplit dans les séances les fonctions [11] multiples et variées d’esprit-guide qui donne de bons conseils relativement à la façon de traiter le médium ; de régisseur caché derrière les coulisses, surveillant le spectacle et toujours prêt à intervenir ; d’interprète bénévole disposé à fournir des explications sur les scènes muettes ou peu claires ; de censeur-moraliste dont les vertes semonces ne ménagent pas les vérités aux assistants ; de médecin compatissant prompt au diagnostic et versé dans la pharmacopée, etc. Sans parler des cas où, en tant que Cagliostro proprement dit, il se montre aux regards somnambuliques de Marie-Antoinette ressuscitée et lui donne la réplique en hallucinations auditives. Ce n’est pas tout encore, et il faudrait, pour être complet, examiner aussi les rapports personnels et privés de Mlle Smith avec son invisible protecteur. Car elle invoque et questionne souvent Léopold en son particulier, et, s’il reste parfois de longues semaines sans lui donner signe de vie, à d’autres moments il lui répond par des voix ou des visions, qui la surprennent en pleine veille, au cours de ses occupations, et il lui prodigue tour à tour les conseils matériels ou moraux, les avertissements utiles, les encouragements et les consolations dont elle a besoin. Mais tout cela dépasse le cadre de cet aperçu.

Si je me suis accusé d’avoir été peut-être pour beaucoup dans la transformation des hémisomnambulismes d’Hélène en somnambulisme total, je me crois en revanche absolument innocent de la naissance, sinon du développement ultérieur, des grandes créations subliminales dont je viens de parler. Pour ce qui est d’abord de Léopold, il est très ancien, et remonte même probablement, comme on le verra, beaucoup plus haut que l’initiation de Mlle Smith au spiritisme. Quant aux trois cycles, ils n’ont, il est vrai, commencé à déployer toute leur ampleur qu’après que j’eusse fait la connaissance d’Hélène, et à partir du moment où elle fut sujette à de véritables trances, [12] comme si cette suprême forme d’automatisme était la seule pouvant permettre le plein épanouissement de productions aussi complexes, le seul contenant psychologique approprié et adéquat à un tel contenu. Mais leur première apparition est pour tous trois nettement antérieure à ma présence. Le rêve hindou, où l’on me verra jouer un rôle que je n’ai point cherché, a clairement débuté (le 16 octobre 1894) huit semaines avant mon admission aux séances de Mlle Smith. Le roman martien, datant de la même époque, se rattache étroitement, ainsi que je le montrerai, à une suggestion involontaire de M. Lemaître qui fit connaissance d’Hélène au printemps 1894, soit neuf mois avant moi. Le cycle royal enfin s’ébauchait déjà l’hiver précédent aux réunions tenues chez M. Cuendet dès décembre 1893. Toutefois ce n’est, je le répète, qu’à partir de 1895 qu’ont eu lieu la grande poussée et les magnifiques floraisons de cette luxuriante végétation subliminale, sous l’influence stimulante et provocatrice, quoique nullement intentionnelle ni même soupçonnée sur le moment même, des divers milieux où Mlle Smith faisait ses séances. Il faut naturellement renoncer à faire le départ des responsabilités dans cette suggestion globale, infiniment complexe, à laquelle non seulement M. Lemaître, M. Cuendet et moi-même avons évidemment coopéré chacun suivant son caractère et son tempérament, mais où sont aussi intervenus beaucoup d’autres agents, notamment les spectateurs occasionnels, très divers et au total assez nombreux, qui ont assisté à une ou plusieurs séances de Mlle Smith, ainsi que les personnes allant la consulter chez elle.

Pour ce qui est des indiscrètes révélations sur ma famille qui m’avaient tant étonné lors de ma première rencontre avec Mlle Smith, ainsi que des innombrables faits extraordinaires du même genre dont fourmille sa médiumité et auxquels elle doit son immense réputation dans les milieux spirites, ce sera assez tôt d’y revenir dans les der[13]niers chapitres de ce travail. La question du caractère supranormal des communications obtenues par un médium, de quelque façon que vous la tranchiez, vous attirera toujours des ennuis, car on ne peut contenter tout le monde et soi-même. Il est donc d’une sage diplomatie de l’éluder jusqu’à la dernière extrémité, en même temps que d’une bonne méthode d’examiner le développement psychologique des automatismes avant de rechercher l’origine de leur contenu.

 

 

 

 Helene Smith et Theodore Flournoy

Hélène Smith et Théodore Flournoy

 

 

 

 


[1]. M. Lemaître a publié sur ce cas, dans les Annales des sciences psychiques du Dr Dariex (tome VII, 1897, p. 65 et 181), deux articles auxquels j’ai souvent l’occasion de renvoyer le lecteur. Ces articles de M. Lemaître constituent, avec ma communication sur la langue martienne à la Société de physique et d’histoire naturelle de Genève (6 avril 1899, Archives des sciences physiques et naturelles, tome VIII, p. 90), tout ce qui a été publié jusqu’ici sur le présent cas.

[2]. P. Janet, L’Automatisme psychologique. Paris, 1889. État mental des hystériques, etc. — M. Dessoir, Das Doppel-Ich. Berlin, 1890. — Breuer et Freud, Studien über Hysterie, Vienne, 1895. — F. W. H. Myers « The Subliminal Consciousness », Proceedings of the Society for Psychical Research, vol. VII, p. 298, et volumes suivants.

[3]. Revue britannique, t. XXX, Paris, 1850, p. 368, 369, etc. (« perceptions rêverique ») (« Le côté noir de la nature », trad. du Blackwoods Magazine).

[4]. C’est-à-dire la faculté d’obtenir des réponses par coups frappés.

[5]. À moins d’admettre que ces troubles n’existaient pas auparavant et n’ont pris naissance qu’au moment même où je m’avisai de les constater.

[6]. J’ai su plus tard, par les documents qui m’ont été fournis sur les séances du groupe spirite de Mme N., qu’Hélène s’y était parfois endormie pour quelques moments dans le courant de 1892. Mais ces somnambulismes, pendant lesquels la table continuait à dicter certaines indications, ne prirent jamais le développement de scènes jouées comme celles auxquelles nous avons assisté dès 1895, et ils paraissent avoir assez promptement cessé pour ne plus se reproduire pendant deux ans et demi.

[7]. Voir à ce sujet l’instructive enquête et la statistique de Learoyd, « The Continued Story », American Journal of Psychology. t. VII, p. 86.