Harald Langstrøm
Comment les visites d’Hélène Smith furent-elles vécues par ses correspondants espéniens ? Comment accueillirent-ils ses intrusions psychiques ? — Pourquoi d’ailleurs établit-elle le contact avec ceux-là précisément, et non pas avec d’autres, en d’autres régions, en d’autres époques d’Énantia ?
Bien que nous ne disposions, pour répondre à ces questions, d’aucune information de première main, nous savons qu’à une époque antérieure à ses translocations spatio-temporelles, un groupe d’Espéniens tenta d’en reconstituer l’histoire avec plus de précision que ce que nous en révèlent les sources genevoises, les seules qui nous soient aujourd’hui accessibles, — car nous ignorons ce qu’est devenu le « dossier réservé »[1] de 1902-1903, où Hélène Smith archiva les données relatives à ses dernières séances relatives à son « antériorité orientale », ainsi qu’a de multiples « cycles stellaires ».
Le Projet Ravalaire Hispansoire — c’est est le nom qu’ils donnèrent à leur enquête — ne nous est de son côté connu que par l’intermédiaire d’un « récit inspiré » que j’écrivis, en avril 2010, sous l’influence de l’Odradek attrafractaire[2].
En voici un bref compte-rendu.
Laïla Sekhat : Ravalaire Hispansoire II
RAVALAIRE HISPANSOIRE, ensemble de constructions vaste comme une cité, situé sur l’île de Pitritoure en Espénié, donna son nom à ce projet de recherche, initié par Sazénèle avaïné quelque temps après qu’elle entendit parler d’Hélène Smith.
Dans la deuxième moitié des années 1920, Marguerite Faucillon (« Mélinde B »)[3] fréquentait les milieux surréalistes du quartier Montparnasse à Paris ; elle eut alors l’occasion de lire l’ouvrage de Théodore Flournoy : Des Indes à la Planète Mars. Une dizaine d’années plus tard, elle s’échappa mystérieusement d’une cellule de l’hôpital psychiatrique de Québec, où elles avait été internée, et passa le restant de sa vie en Espénié. C’est là qu’elle rencontra Sazénèle avaïné, à qui elle parla longuement d’Hélène Smith et de ses voyages psychiques sur la planète Mars.
Son intérêt éveillé, Sazénèle avaïné se procura les deux livres de Théodore Flournoy (Des Indes à la Planète Mars, et Nouvelles Observations sur un cas de somnambulisme avec glossolalie), et fut tout de suite convaincue que ces récits étaient authentiques malgré les déformations générées par les préjugés ethnocentristes de la médium, — et bien que ses excursions ne la menât nullement sur Mars, mais bien en Espénié. Elle s’étonna cependant qu’une telle aventure n’ait apparemment laissé aucune trace dans le souvenir des Espéniens (les archives plus anciennes déposées sur l’île d’Antadure n’en faisant d’autre part nulle mention), — alors même que les noms de plusieurs personnes de sa connaissance se trouvaient cités par Théodore Flournoy, en particulier ceux d’Eupié (Eupiale avaïna), d’Esenale [avaïna] (qui devait découvrir la planète Toèva), et de Ramié (Ramièle avaïna, qui deviendra, sur Énantia, le « veilleur/répondant » en titre de la planète des Rajs).
Elle aboutit pour finir à la conclusion que les voyages psychiques d’Hélène Smith[4] sur la « planète Mars » auraient lieu dans un avenir suffisamment proche pour qu’elle-même puisse y prendre part[5]. Mais bien qu’Élisélaine n’avait été (en termes de chronologie terrestre locale), ou ne sera (en termes de chronologie énantienne relative) jamais physiquement présente sur ce qu’elle considérait / considérera comme la planète Mars, son « ectoplasme intérieur » — et c’est là un point crucial — avait / aura la faculté de s’établir de manière stable dans l’esprit de ses hôtes, — ce qui lui permit / lui permettra de nouer des rapports étroits et durables avec un certain Astané [Astanède avaïna], une sorte de sage (ou de savant)[6] qu’elle présente comme ayant été l’ami intime d’Esenale, — le corps embaumé de ce dernier reposant d’ailleurs, aux dires de la médium, dans sa vaste demeure.
Or Esenale, dont l’esprit flottait, à l’époque des visites d’Hélène Smith, « comme dans des limbes » entre deux incarnations, avait été, au cours d’une de ses vies antérieures, Alexis Mirbel ; or la mère de celui-ci, qui n’avait pas surmonté la douleur causée par la perte de son fils âgé de 17 ans seulement, mue par l’espoir de communiquer avec l’esprit de son enfant disparu, assistait avec assiduité aux séances que donnait Hélène Smith dans la seconde moitié des années 1890. Esenale (Alexis Mirbel) de son côté, parce qu’il se remémorait l’ensemble de ses existences antérieures — terrestres comme énantiennes —, outre les consolations qu’il adressait à sa mère, devint une sorte de traducteur en titre, pour le bénéfice d’Hélène Smith et surtout de Théodore Flournoy, des textes « martiens » dont à l’occasion de ses transes la médium prenait connaissance sans pouvoir les comprendre.
Sazénèle avaïné trouva inimaginable que ni elle ni aucun des Espéniens qu’elle fréquentait n’aient entendu parler de cet Astanède avaïna qui, était, célèbre, selon Hélène Smith, dans tout l’archipel, aurait été le maître et l’ami intime d’Esenale, — celui-là même qui par ailleurs, proche de Sazénèle avaïné, allait participer de manière particulièrement active au projet RAVALAIRE HISPANSOIRE. Elle fut alors soudainement saisie d’un doute : Le monde dans lequel Hélène Smith allait apparaître était-il bien le sein ?
Il est vrai que la présence des livres de Flournoy dans son monde attestait que les voyages de la médium avaient leur place dans l’histoire passée d’une Terre qui faisait bel et bien partie de son espace-temps, — mais cela signifiait seulement que ces translocations temporelles avaient eu lieu pour les habitants (passés) de Genève, non qu’ils auraient lieu pour les habitants (futurs) d’Énantia. Le projet RAVALAIRE HISPANSOIRE pouvait en d’autres termes se dérouler dans un hrön-Cosmos alternatif, qu’un « voyageur temporel imprudent » aurait malencontreusement créé entre l’époque où Hélène Smith organisait ses séances à Genève, et celle où elle manifestait / manifestera sa présence aux esprits de ses correspondants Espéniens.
Sazénèle avaïné décida qu’il fallait tirer toute cette affaire au clair, désireuse surtout qu’elle était de s’assurer si oui ou non Hélène Smith faisait effectivement partie de son futur, — ce qui, en cas de verdict positif, lui permettrait de démêler le vrai du faux dans les descriptions que la médium faisait de ses diverses pérégrinations sur Mars. Mais cela impliquait, elle s’en rendait aussi parfaitement compte, qu’elle devrait être en mesure de gérer la « complexité logique » des méandres temporels qu’elle était ainsi sur le point de créer.
Le projet Élisélaine (qui devint lors de sa mise en œuvre le projet RAVALAIRE HISPANSOIRE) s’installa dans un environnement maritime semblable à ceux qu’Élise Müller affectionnait particulièrement sur ce qu’elle croyait être la planète Mars.
avec la localisation de Ravalaire Hespansoire sur l’île de Pitritoure, de Cétile Baufore sur l’île d’Ascédiffe et de Juvère Nalcire sur l’île d’Édicitoure.
[Carte issue du site internet aujourd’hui disparu : Parapsychologie sans parachute ni paratonnerre.]
Il devait à l’origine se dérouler en deux phases d’importance inégale.
1. — On chercha d’abord, à titre préparatoire, à tester la valeur des descriptions des planètes « non martiennes » dont Hélène Smith évoquait l’existence — ces témoignages étant au mieux sur-interprétés par l’esprit de la médium, au pire entièrement imaginaires. Car si sa « planète Mars » ne se situait nullement, c’était depuis longtemps une certitude, dans le système solaire, les planètes décrites dans ses cycles « ultra-martien », « uranien » et « lunaire », le pouvaient encore moins, — bien qu’on ne trouvât pas plus trace de leur présence à proximité d’Énantia. Existaient-elles seulement ?
a) Eupié nikaïna, qui à cette occasion devint Eupiale avaïna, découvrit et explora Tèp, la terre des Rajs, en se basant, pour diriger ses recherches mentales, sur la description de la « crèche martienne » d’Hélène Smith. Il fut de ce fait à l’origine des deux projets conjoints de JUVÈRE NALCIRE et de DIBÈLE TOLCARRE.
Le premier eut pour but la création d’un langage de communication affective spécialisé, les Dires de Min, qui s’inspirait du langage intellectuel des Raj ; le second se chargea d’élaborer, dans une sorte de « crèche » (d’ailleurs assez différente de celle que vit, ou cru voir Hélène Smith), avec l’aide de quelques Rajs, les modalités d’un langage privé, dont il s’agissait d’adapter le code tactile et amoureux à la physiologie de l’être humain, très différente de celle des Rajs.
En échange, les Espéniens enseignèrent aux Rajs comment voyager par leurs propres moyens d’une terre parallèle à une autre, — cet apprentissage se faisant grâce à un miza construit à proximité du projet JUVÈRE NALCIRE, qui leur fut dédié et dont le supervision fut confiée à Ramièle avaïna[7].
Ramièle avaïna (Ramié), vu par Hélène Smith
b) Esenale avaïna localisa de son côté la planète Toèva, l’« Ultra-Mars » d’Élisélaine.
Il deviendra par la suite le gardien attitré du miza de CÉTILE BAUFORE, dans la tranéï duquel il découvrira un jour l’Enfant Sans-nom, efflanqué et mutique ; cet enfant sera, sur les conseils de Ramièle avaïna, confié à Yashoni nikaïné[8].
C’est Esenale aussi qui, dix ans plus tard, implantera sur l’île de Lardinès le projet MINNOLE BÉCARRE de langue universelle enchâssée, provoquant le retour sur terre de l’Enfant Sans-nom, devenu entre-temps Rajendré nikaïna[9].
Laïla Sekhat : Ravalaire Hispansoire VIII
2. Au moment d’aborder l’étape suivante, qu’ils croyaient principale, de leur entreprise, Eupiale avaïna et Sazénèle avaïné envisagèrent, afin de visualiser l’ensemble des événements vécus par Hélène Smith au cours de ses multiples translocations de la Terre en Énantia, deux voies d’investigation complémentaires :
— Eupiale avaïna proposa d’envoyer à Genève, entre 1895 et 1903, une série d’observateurs qui se glisseraient dans le cercle, ou plutôt dans les différents cercles animés par Élise Müller, afin de vérifier, et si possible étoffer les informations données par Théodore Flournoy dans ses livres (ainsi que dans les comptes-rendus de séances dont on avait entre-temps retrouvé les manuscrits autographes), — mais aussi et surtout afin de découvrir ce qui s’était passé durant les années 1901-1903, après la rupture survenue entre la médium et le psychologue.
— Sazénèle avaïné aurait de son côté préféré se translater vers le futur d’Espénié, afin de s’assurer que les visites d’Hélène Smith avaient effectivement lieu dans le cadre spatio-temporel qui était actuellement le sien, et si tel était le cas, d’en observer directement le contenu.
Après réflexion, ils convinrent d’annuler complètement la seconde entreprise : il leur suffisait d’attendre qu’Hélène Smith fasse ou non son apparition en Espénié, à une date qui ne pouvait pas être excessivement lointaine, tandis que leur intervention intempestive aurait risqué de compliquer la manière dont la voyageuse focaliserait son esprit sur ses correspondants énantiens, certains d’entre eux existant alors, simultanément et quasiment au même endroit, en plusieurs exemplaires.
Ils restreignirent pour la même raison l’ambition de leur expédition vers le passé de la Terre : celle-ci risquait, par l’ampleur démesurée de sa version initiale, de créer un nombre incontrôlé d’espaces-temps alternatifs, — leurs promoteurs étant dans l’incapacité de prévoir a priori les conséquences d’un tel bourgeonnement sur le tissu du pluricosmos.
Et ils retinrent pour finir l’option consistant à compléter les témoignages dont ils disposaient déjà (principalement réunis par Auguste Lemaître, Théodore Flournoy et M. Cuendet), en y ajoutant le fameux « dossier réservé », dans lequel Hélène Smith archivait les documents produits pendant la dernière phase de développement de ses cycles astraux — entreprise qui fut couronnée de succès à l’issue d’une unique incursion dans le passé de la Suisse : Eupiale avaïna s’insinua, au cours de l’année 1902, dans la petite coterie des admirateurs « américains » d’Hélène Smith, qu’il fit profiter de ses services, éclairés autant qu’intéressés.
Laïla Sekhat : Ravalaire Hispansoire IV
Note d’Helena Stang, 2939.
Le récit d’Harald Langstrøm s’arrête là, sans doute parce que le projet RAVALAIRE HISPANSOIRE fut mis en sommeil dans l’attente des futures (et, à mon sens, improbables) manifestations d’Hélène Smith dans cette hrön-version particulière de l’archipel d’Espénié.
Il est regrettable cependant que, malgré la clairvoyance que lui apportait l’Odradek attrafractaire, Harald Langstrøm n’ait pu accéder — ne serait-ce que de façon partielle, ne serait-ce qu’indirectement — au contenu du « dossier réservé », qui semble devoir, en ce qui nous concerne, rester inconnu.
Laïla Sekhat : Ravalaire Hispansoire XIII
[1]. Théodore Flournoy nous en apprend l’existence, bien qu’il n’ait jamais été autorisé à y jeter le moindre coup d’œil.
[2]. Voir : 11 pièces de cuivre, n°2, septembre 2014 : AVENTURES EN ESPÉNIÉ (1). — RAVALAIRE HISPANSOIRE ou le fantôme de la visiteuse, texte de Harald Langstrøm, illustration de Laïla Sekhat. Réédité en tête du recueil tiré à part : Aventures en Espénié. Il n’est malheureusement pas possible de contrôler par recoupement l’exactitude des faits rapportés par ces « textes inspirés ».
Pour l’Odradek attrafractaire, voir ci-dessous l’étude qui lui est consacrée.
[3]. Sur Marguerite Focillon, voir ci-dessous : Par l’esprit et par le corps aussi.
[4]. Que les habitants d’Espénié appellent, selon la nature de ses interventions dans la trame de leurs existences : Liselaine, Lainelise, Élisaine, Élisélaine, Élainélise…
[5]. Une question aurait alors surgi, à laquelle Sazénèle avaïné semble ne pas avoir prêté attention : Comment se fait-il, dans un tel cas de figure, qu’Hélène Smith n’évoque jamais son existence à elle ?
[6]. Rien n’est simple en matière de réincarnations spirites coordonnées : Astané [Astanède avaïna] serait, à en croire Hélène Smith, la réincarnation du fakir hindou Kanga, mentor de la princesse Simandini, — qui allait de son côté se réincarner en la personne d’Élise Müller / Hélène Smith, amie et disciple d’Astané, tandis que le mari de la princesse, Sivrouka-nayaka, se réincarnait sur terre en la personne de Théodore Flournoy. Les couples maître/disciple, et « époux » /épouse du XVème siècle se reformeraient ainsi, par delà le gouffre des siècles, des continents et des planètes…, puisque le fakir Kanga, la princesse Simandini et le radjah Sivrouka-nayaka se retrouvent, après trois cents ans de séparation, réunis sous les identités de l’Espénien Astané d’une part, des Genevois Hélène Smith et Théodore Flournoy d’autre part.
[7]. Eupiale poursuivra sa collaboration avec Sazénèle avaïné, tandis que Ramièle, accaparé par sa tâche de responsable du projet JUVÈRE NALCIRE, délaissera complètement le projet RAVALAIRE HISPANSOIRE.
[8]. Au départ, la jeune Yashoni nikaïné participait au projet JUVÈRE NALCIRE des Dires de Min. Après qu’Esénale avaïna lui eut confié la garde de l’Enfant Sans-nom, lui-même intégré au projet DIBÈLE TOLCARRE, les deux jeunes gens résidèrent, non à DIBÈLE TOLCARRE même, mais dans la demeure souterraine d’AYAK SVOKAYAM.
[9]. Rajendré nikaïna, devenu en d’autres temps et d’autres lieux artiste de rue, sera connu sous le blaze de S-21 dans le quartier de Nørrenbro, à Copenhague, où il mourra en décembre 2006.







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