Autres vies, autres mondes

 

 

 

 

Harald Langstrøm

 

 

 

Le sacre 3-2

 

 

 

1. La seconde vie d’Hélène Smith

 

 

La rupture avec la science en la personne de son professeur de psychologie ne constitua pas, dans la vie d’Élise Müller, une simple brouille de valeur anecdotique, mais constitua le point de départ d’une véritable révolution dans sa destinée de médium[1] : après la révélation de l’extraordinaire amplitude de ses dons grâce au lien qui s’était établi entre elle et Théodore Flournoy, après la brusque chamaillerie occasionnée par la parution du livre : Des Indes à la Planète Mars, elle vit cette fois la totalité de son existence, matérielle et spirituelle, changer complètement d’orientation.

Elle ne se contenta pas en effet, une fois devenue financièrement libre de son temps grâce aux libéralités de la riche Mme Jackson, de renier la science, ses œuvres et ses suppôts, mais peu de temps après s’éloigna de tous les milieux spirites organisés, dont elle condamnait la doctrine (dans sa prétention du moins de devenir une nouvelle religion, destinée à remplacer toutes les autres), et renoua avec la foi et la ferveur chrétienne de son enfance.

 Elle conserva cependant intactes ses capacités de « somnambulisme » et d’autosuggestion, continuant pendant un certain temps, grâce à la présence attentive de Léopold à ses côtés, à donner des séances à des personnes qu’elle pouvait dorénavant choisir en toute liberté, et se découvrit enfin une nouvelle vocation : celle de peindre sous hypnose, au cours de transes dont elle ne décidait ni du moment ni du contenu, des tableaux d’inspiration religieuse, qui révélaient à ses yeux (et aux personnes de confiance à qui elle acceptait de montrer ses œuvres) la face authentique des saints personnages qui lui faisaient la grâce d’apparaître à son esprit : Jésus bien sûr, mais aussi la Vierge, la Sainte famille, Judas, l’archange Gabriel…, — et, par permission spéciale des puissances d’En-haut, Léopold lui-même, alias Cagliostro.

Tout commença le 2 décembre 1903. Hélène eut ce jour-là une vision du Christ, et entendit Léopold répéter à plusieurs reprises : « Tu le dessineras ».

« Quelque temps s’écoule cependant avant la réalisation de cet ordre. Le 8 janvier 1904, Hélène, tombant en somnambulisme, trace au crayon de charpentier, en une demi-heure ou trois-quarts d’heure, la tête du Christ qu’elle avait aperçue dans ses visions antérieures. Elle se préparait alors à dessiner un motif de décoration, quand le Christ se montra, paraissant se pencher et poser la tête sur la feuille de papier, si bien qu’elle n’eut qu’à en suivre les contours.

« L’œuvre picturale est commencée. »

W. Deonna, De la Planète Mars et Terre Sainte,
Chap. V, L’œuvre picturale (1903-1915)
, pp. 207-208

Privilégiant la peinture à l’huile sur panneau bois, elle réalisa au cours des dix années suivantes une quinzaine de tableaux, qui représentaient des portraits et des scènes se référant au Nouveau Testament, et qui constituaient du moins en était-elle convaincue, des témoignages plus précieux encore que le suaire de Turin.

 

 

PL 3

W. Deonna, De la Planète Mars en Terre Sainte, planche III

 

D'après le Suaire de Turin 2

Restitution du visage imprimé sur le Suaire de Turin

 

 D'après le Suaire de Turin 1

Autre restitution

 

 

2. Du « dossier réservé » au projet Ravalaire Hispansoire

 

 

Dans ses Nouvelles Observations, Théodore Flournoy nous apprend d’autre part que, selon le témoignage d’un certain M. Marchot, Hélène Smith avait, en 1901, réuni un dossier qui contenait un grand nombre de textes et de documents nouveaux, écrits en « sanscrit », mais aussi dans cinq langues « extraterrestres » différentes : martien, ultra-martien, uranien, ainsi que deux langues lunaires, les trois dernières nous demeurant pratiquement inconnues. Elle avait le projet de publier sous son nom un livre qui aurait été le pendant spirite de Des Indes, et le reflet fidèle de ses propres convictions personnelles. Ce projet n’eut pas de suite, et nul ne sait ce qu’il advint de ce que Théodore Flournoy appelle le « dossier réservé ».

Si l’entreprise n’aboutit pas, malgré l’ardent désir de revanche qui animait alors Hélène, c’est que son nouvel entourage ne s’intéressait ni à ses antériorités orientales, ni à ses pérégrinations extraterrestres ; son inspiration s’épuisa donc peu à peu, tandis qu’elle-même s’adonnait à d’autres occupations, de nature étroitement religieuse[2].

Comme le « dossier réservé » n’a fait l’objet d’aucune publication, son contenu nous demeure aujourd’hui totalement inconnu. Mais la célébrité d’Hélène Smith, et la notoriété de Des Indes fit que nombreux furent ceux qui, après avoir lu les Nouvelles Observations de Théodore Flournoy, se demandèrent ce qu’il était devenu. Parmi eux, une certaine Marguerite Faucillon, qui séjourna de nombreuses années en Énantia. Elle parla d’Hélène Smith et de ses voyages psychiques en Espénié (alias la planète Mars) à une certaine Sazénèle avaïné qui, après s’être procuré les principaux ouvrages traitant de cette affaire, fut frappée du fait qu’étaient mentionnés, en particulier dans Des Indes et les Nouvelles Observations, un certain nombre de personnages martiens qui faisaient actuellement partie de son entourage — aucun d’entre eux n’étant de son côte en mesure de faire état des apparitions, ou pour mieux dire des manifestation d’Hélène Smith à leur esprit.

 

 

Ravalaire Hispansoire Bandeau

 

 

Ainsi fut initié en Espénié le Projet Ravalaire Hispansoire, dont le but fut de tirer au clair, autant que faire se pouvait en pareilles circonstances, ce que Sazénèle avaïné appelait familièrement « l’affaire Élisélaine ».

En un tout autre temps, sur une autre planète — et plus précisément à Copenhague au cours des années 2008-2012 —, un groupe de jeunes gens dont je faisais partie avait créé Endetidshuset, la maison de la fin des temps, située dans le quartier de Nørrebro, un centre d’animation artistique et citoyenne qui voulait en particulier préserver le souvenir d’un artiste de rue récemment disparu, dont le blaze avait été : « S-21 ». Il s’avéra bientôt que cet artiste avait vécu une dizaine d’années sur Énantia ; et ses aventures dans cet au-delà énantiomorphe de la Terre nous furent révélées — d’une manière totalement inattendue, et malheureusement assez peu fiable, — dans les circonstances suivantes : on sait que Dénoshay Énaïva compte, parmi ses œuvres aux pouvoirs mystérieux, l’Odradek attrafractaire, un dispositif visuel et sonore sous la suggestion duquel certaines personnes particulièrement sensibles à son influence produisent, saisies d’inspiration, des œuvres d’art, des documents ou des témoignages dont elles sont bien les auteurs, mais qu’elles auraient bien été en peine de concevoir dans leur état normal.

C’est ce qui arriva au trio que nous formions alors, Smilla Glemminge-Olsen, Laïla Sekhat et moi-même. Nous réalisâmes ainsi une douzaine de récits illustrés qui, sans que nous puissions dire précisément d’où nous venaient ces informations, ces conceptions et ces visions, relataient autant d’épisodes liés au séjour de S-21 sur Énantia. Ces récits, réunis sous le titre d’« Aventures en Espénié », comportent une sorte de prologue où il est longuement question du Projet Ravalaire Hispansoire.

Telle est l’unique source de ce que nous savons des voyages psychiques d’Hélène Smith  sur la planète Mars — vus cette fois du côté espénien. Or le « dossier réservé » dont nous parle Théodore Flournoy semble avoir joué un rôle important dans le déroulé de ce projet, et il y a tout lieu de croire qu’il a été préservé (ou reproduit ?) par un certain Eupiale avaïna qui, venu d’Énantia, s’insinua en 1902 dans les bonnes grâces d’Hélène Smith, et eut accès au « dossier réservé »[3].

 

 

 

Le sacre 3-1

 

 

 

 


[1]. Bien qu’elle ne correspondît à la remémoration d’aucune nouvelle « antériorité », telle celles de la princesse Simandini ou de la reine Marie-Antoinette.

[2]. Cette nouvelle orientation de ses activités donna lieu à la publication de brochures au contenu strictement contrôlée par elle, mais signées par Henri Cuendet, de la Société d’Études Psychiques de Genève, — un fidèle de toujours qui avait rédigé les procès verbaux des nombreuses séances donnait chez lui avant qu’Hélène Smith rencontrât MM. Lemaître et Flournoy (en particulier durant l’année 1894). Il s’agit des deux plaquettes intitulées :

Les tableaux d’Hélène Smith peints à l’état de sommeil, Genève Atar, 1908
Judas, tableau d’Hélène Smith (peinture inspirée), Genèse, Atar, s. d., (1914).

Hélène avait soigneusement revu le texte de la première, et entièrement écrit celui de la seconde, comme le démontre le manuscrit autographe de ce dernier ouvrage, qu’après sa mort Waldemar Deonna retrouva dans ses papiers.

« J’ai travaillé énormément ces jours derniers à faire le relevé de tout ce qui concerne le tableau, en vue d’une brochure qui paraîtra autour de Noël… J’ai donné toutes mes notes hier et suis maintenant tranquille de ce côté… Je dois avouer que la brochure est toute de ma composition, mais… silence… le plus grand silence… elle ne pouvait paraître sous mon nom. » (décembre 1913)

On pourra consulter aussi, en rapport avec le cycle de ses peintures d’inspiration chrétienne :

— A. Lemaître, Un nouveau cycle somnambulique de Mlle Smith. Ses peintures religieuses, Arch. De Psychologie VII, 1908, p. 63 sq.
— A. Lemaître, Une étude psychologique sur les tableaux médiumniques de Mlle H. Smith, Annales des Sciences psychiques, 1908, p. 18 sq.

[3]. Il y a tout lieu de croire que cet Eupiale avaïna est celui-là même que, dans ses voyages médiumniques, Hélène Smith appelle Eupié, et que cet Eupié lui apparut comme « un pauvre petit vieux tout courbé et à la voix chevrotante, avec qui [Pouzé] s’occupe de jardinage ou de botanique dans une promenade du soir au bord d’un lac (texte 14) ». Des Indes, p. 182.

« Pendant une visite que je fais à Mlle Smith, elle a la vision de deux personnages martiens se promenant au bord d’un lac, et elle répète ce fragment de conversation qu’elle entend entre eux. D’après un autre texte (n° 20), Arva est le nom martien du Soleil.
(texte 14) eupié zé palir né amé arvâ nini pédriné évaï diviné lâmée ine vinâ té luné — pouzé men hantiné êzi vraïni né touzé med vi ni ché chiré saïne — ké zalisé téassé mianiné ni di daziné — eupié — pouzé
Eupié, le temps est venu, Arva nous quitte ; sois heureux jusque au retour du jour. — Pouzé, ami fidèle, mon désir est même pour toi et ton fils Sainé. — Que l’élément entier t’enveloppe et te garde ! — Eupié ! — Pouzé !

Auditif, 18 juin 1897 (trad. 20 juin), Des Indes, p. 209