CHAPITRE VIII
Le Cycle hindou
IV. Du langage hindou de Mlle Smith
[301] 7. Citons encore le « chant hindou » d’Hélène, qui a fait une demi-douzaine d’apparitions depuis deux ans, et dont Léopold a daigné, une seule fois, ébaucher la traduction. Les paroles consistent essentiellement dans le mot sanscrit gâya, « chante », répété à satiété, avec, par-ci par-là, quelques autres termes mal articulés et offrant des variantes désespérantes dans les notes prises par les divers auditeurs. Je me bornerai à deux versions[1].
L’une est d’Hélène elle-même. Dans une vision spontanée (18 mai 1898, le matin à son réveil) elle aperçut un homme richement vêtu de jaune et de bleu [Sivrouka] à demi couché sur de beaux coussins, auprès d’une fontaine entourée de palmiers ; une femme brune [Simandini], assise sur l’herbe, lui chantait dans une langue étrangère une ravissante mélodie ; Hélène en recueillit par écrit les bribes suivantes, où l’on reconnut le texte estropié de son chant ordinaire : Ga hïa vahaïyami… vassen iata… pattissaïa priaïa…
L’autre transcription est celle que recueillit M. de Saussure, infiniment plus apte que nous, on le conçoit, à distinguer les sons hindous (20 juin 1897). Bien qu’il fût tout près d’Hélène qui chantait assise à terre, la voix de celle-ci était par moment si peu articulée qu’il laissa échapper plusieurs mots et ne garantit point l’exactitude de son texte, que voici (moins quelques accents spéciaux) tel qu’il l’écrivit à mesure : gâya gaya naïa ia miya gayâ briti… gaya vayayâni pritiya kriya gayâni i gâya mamata gaya mama nara mama patii si gaya gandaryô gâya ityâmi vasanta… gaya gayayâmi gaya priti gaya priya gâya patisi…
C’est vers la fin de cette même séance que Léopold, sans doute pour faire honneur à la présence assez exceptionnelle de M. de Saussure, se décida, après une scène de traduction martienne (texte 14) par Esenale, à nous donner de la voix d’Hélène son interprétation du chant hindou, que voici textuellement avec son mélange de mots sanscrits :
Chante, oiseau, chantons ! Gaya ! Adèl, Sivrouka[2], chantons le printemps ! Jour et nuit je suis heureuse ! Chantons ! Printemps, oiseau, bonheur ! ityâmi mamanara priti, chantons ! aimons ! mon roi ! Miousa, Adèl[3] !
En rapprochant cette traduction du texte hindou on découvre entre eux certains points de contact. Outre les deux mots parfaitement exactes gâya, « chante », vasanta, « printemps », on retrouve l’idée de « aimons » dans priti et briti (sanscrit prîti, « action d’aimer »), et l’équivalent approximatif de « mon roi » dans mama patii rappelant le sanscrit mama patê (ou au nominatif mama patih), « mon époux », « mon maître ». Il n’est malheureusement guère possible de pousser l’identification plus loin, sauf peut être pour « oiseau » qu’avec de la bonne volonté on pourrait soupçonner dans vayayâni rappelant vaguement vâyasân (accusatif pluriel de vâyasa, « oiseau »).
Quant à la mélodie de cette plaintive mélopée, M. Aug. de Morsier, qui l’entendit dans la séance du 4 septembre 1898, a bien voulu la noter aussi exactement que possible.
Les exemples précédents suffisent à donner une idée de l’hindou d’Hélène, et il est temps de conclure. Il ne s’agit apparemment là d’aucun dialecte actuellement existant. M. Glardon déclare que ce n’est ni de l’hindi ni de l’urdu et, après avoir émis au début, à titre de simple hypothèse, l’idée que ce pourrait être du tamil ou du mahratte, il y voit maintenant un mélange de termes réels, probablement sanscrits, et de mots inventés. M. Michel estime également qu’il y a dans le baragouin bizarre de Simandini des bribes de sanscrit assez bien adaptées à la situation. Tous mes correspondants sont en somme exactement du même avis, et je ne saurais mieux résumer leur opinion qu’en laissant de nouveau la parole à M. de Saussure :
Sur la question de savoir si tout cela représente positivement du « sanscrit », il faut répondre évidemment non. On peut seulement dire : — 1°) Que c’est un méli-mélo de syllabes, au milieu desquelles il y a incontestablement des suites de huit à dix syllabes donnant un fragment de phrase ayant un sens (phrases surtout exclamatives, par exemple : mama priya, « mon bien aimé ! », mama soukha, « mes délices ! »). — 2°) Que les autres syllabes, d’aspect inintelligible, n’ont jamais un caractère anti-sanscrit, c’est-à-dire ne présentent pas des groupes matériellement contraires ou en opposition avec la figure générale des mots sanscrits. — 3°) Enfin, que la valeur de cette dernière observation est d’autre part assez considérablement diminuée par le fait que Mlle Smith ne se lance guère dans des formes de syllabes compliquées et affectionne la voyelle a ; or le sanscrit est une langue où la proportion des a par rapport aux autres voyelles est à peu près de 4 à 1, de sorte qu’on ne risque guère, en prononçant trois ou quatre syllabes en a, de ne pas rencontrer vaguement un mot sanscrit.
Il résulte de cette dernière remarque de M. de Saussure qu’il ne doit pas être très difficile de fabriquer du sanscrit à la mode de Simandini, pour peu qu’on en possède quelques éléments véritables qui puissent servir de modèle et donner le ton au reste. Et point n’est besoin pour cela d’en savoir beaucoup, comme le remarque M. Barth :
Mlle Smith a-t-elle été en relation avec quelque personne de qui elle aurait pu prendre quelques bribes de sanscrit et d’histoire ? Il suffit, dans ces cas, d’un premier germe, si mince soit-il. L’imagination fait le reste. Les enfants sont très souvent onomatopoioi. … Mon frère, dans sa première enfance, s’était composé ainsi tout un langage à lui. Ma grand-mère, qui était remarquablement intelligente, pouvait encore réciter verbo tenus, dans son extrême vieillesse, un petit jargon d’une dizaine de lignes qu’elle s’était composé dans son enfance. C’était à l’époque des guerres de la Révolution : les troupes passaient et repassaient en Alsace, et elle était humiliée de ne pas savoir un mot de français. Elle se mit alors à se fabriquer pour sa satisfaction personnelle un petit discours à assonances à peu près françaises, mais dont les premiers mots seuls, le germe, avaient un sens.
Cela commençait par : Je peux pas dire en français ; puis venait une dizaine de lignes de syllabes ajoutées au hasard, avec un mot français par-ci par-là, par exemple vinaigre, manger ; le tout finissait par : a toujours béni perpense par la tavirettement. Ma grand-mère m’a bien souvent cité ce singulier morceau que je regrette de n’avoir pas noté.
J’ai cité cet exemple de M. Barth à cause de son intérêt. Mais c’est naturellement Mlle Smith elle-même qui nous fournit, dans son propre martien, le fait le plus apte à éclairer son hindou. Il n’en coûte évidemment pas davantage, à une activité subconsciente capable de forger une langue de toutes pièces, d’en élaborer une autre par l’imitation et le délayage de quelques données réelles. Aussi, dès le début du martien (postérieur d’un an, comme on l’a vu, à celui de l’hindou), M. de Saussure n’hésita-t-il pas à faire ce rapprochement et à expliquer, par exemple, le texte sanscritoïde initial, la fameuse phrase de bénédiction atiégyâ ganapatinâmâ, par le même procédé de fabrication qui éclatait dans les paroles d’Esenale ou d’Astané.
À tort ou à raison, m’écrivait-il, je serais maintenant disposé à voir dans les phrases sivroukiennes quelque chose d’analogue au martien, entremêlé seulement de distance en distance de lambeaux sanscrits. Comme simple illustration de mon idée, supposons que Simandini veuille dire cette phrase : Je vous bénis au nom de Ganapati. Placée dans l’état sivroukien, la seule chose qui ne lui vienne pas à l’idée est d’énoncer, ou plutôt de prononcer cela en mots français, mais ce sont néanmoins des mots français qui restent le thème ou le substratum de ce qu’elle va dire ; et la loi à laquelle son esprit obéit est que ces mots familiers soient chacun rendu par un substitut d’aspect exotique. Peu importe comment : il faut avant tout, et seulement, que cela n’ait pas l’air de français à ses propres yeux, et qu’elle soit satisfaite en remplissant au hasard par de nouvelles figures de son la place qui est marquée pour chaque mot français dans son esprit. Ajouter que tantôt la substitution sera ainsi complètement arbitraire [c’est le cas du martien], tantôt elle sera influencée ou déterminée par le souvenir d’un mot étranger — qu’il soit du reste anglais, hongrois, allemand, sanscrit —, avec préférence naturelle pour l’idiome qui s’accorde le mieux avec le lieu de la scène.
Cela donné, j’essaye de serrer de plus près cette marche hypothétique sur la phrase ci-dessus prise comme exemple. — 1°) « Je » est forcé de se transformer. La mémoire fournit-elle un mot exotique pour « je » ? Aucun. Alors on prend au hasard a pour « je ». (Peut-être en fait, ce a est-il inspiré par l’anglais I, prononcé aï, mais cela n’est pas nécessaire.) — 2°) « vous bénis » ; ou « bénis vous », car si, par exemple, le mot pour « je » a été suggéré par l’anglais, il peut s’ensuivre que la construction anglaise soit involontairement observée dans les mots placés immédiatement après. On marque en conséquence « bénis vous » par tiê yâ. Le yâ peut avoir été pris à l’anglais you [modifié dans le sens de la voyelle dominante en sanscrit]. Le tiê, « bénis », n’est pris nulle part, comme dans le martien. — 3°) « au nom de Ganapati », naturellement le nom même de Ganapati est en dehors de tout ce mécanisme et a dû être pris quelque part tel quel. Reste « au nom de », qui sera exprimé par nâmâ, soit par souvenance de l’allemand Name, soit par reviviscence d’un sanscrit nâmâ aperçu aussi quelque part ; et enfin la construction, contraire à l’ordre des mots français, sera venue sur les ailes de l’allemand Name, d’après la tournure allemande in Gottes Namen, in Ganapati’s Namen. — En somme, charabia qui tire ses éléments d’où il peut, et les invente la moitié du temps avec la seule règle de ne pas laisser percer la trame française sur laquelle il court.
Ces ingénieuses conjectures de M. de Saussure doivent être prises pour ce qu’elles valent, c’est-à-dire pour une simple figuration, à laquelle il ne tient pas autrement, du procédé linguistique à l’œuvre chez Mlle Smith. En fait, il est probablement dans le vrai quant à la genèse de ganapatinâmâ ; car si l’auteur du martien ne sait pas un mot d’allemand comme on l’a vu, ce n’est point une raison pour que l’imitateur du sanscrit partage la même ignorance, au contraire. En effet, lorsqu’on compare le contenu et les personnages des deux cycles exotiques d’Hélène, on s’aperçoit bien vite que le rêve hindou est moins puéril, correspond à un âge et à un degré de développement de toute la personnalité notablement plus avancé que le rêve martien[4] ; si donc on admet, ainsi que je l’ai exposé (p. 230-231), que ces romans somnambuliques constituent une sorte de végétation hypnoïde de couches anciennes appartenant à l’enfance ou à la jeunesse de Mlle Smith, il devient très vraisemblable que la couche qui engendre et alimente le cycle hindou est au moins contemporaine de l’époque où elle apprit l’allemand (douze à quinze ans), sinon postérieure, en sorte que les souvenirs de cette langue n’ont pas dû être sans influence sur la confection de l’hindou.
Quant à atiêyâ, je doute qu’on puisse y faire intervenir des réminiscences de l’anglais, dont Mlle Smith a totalement abandonné l’étude au bout de deux leçons. Comme aucune conjecture n’est en soi trop triviale ou trop sotte, quand il s’agit d’expliquer des phénomènes qui sont essentiellement de l’ordre du rêve et où la niaiserie d’une association d’idées ne saurait être une objection à sa vraisemblance, je préférerais rapprocher cette exclamation — qui semble bien avoir la valeur d’un « je te bénis » ou « béni sois-tu » — de l’onomatopée populaire « atiou ! » dont les enfants et leur entourage se servent pour exprimer ou simuler l’éternuement, auquel est d’autre part indissolublement lié par un usage séculaire le souhait d’une bénédiction divine. Cette liaison d’idées infantile, combinée avec la tendance à conserver dans le néologisme le nombre de syllabes de l’original français, et jointe au choix d’une finale sanscritoïde, me paraît expliquer d’une façon plausible, jusqu’à meilleur avis, la transformation supposée de « béni sois-tu » en atiêyâ.
pp. 301-306
[315] Les pages précédentes étaient déjà sous presse, lorsque M. de Saussure eut une idée aussi aimable qu’ingénieuse. Pour me permettre de donner aux lecteurs non indianistes un aperçu plus vivant, une impression sensible en quelque sorte, de ce qu’est l’hindou de Mlle Smith, il voulut bien composer à leur intention un texte d’apparence latine, qui fût aussi exactement que possible à la langue de Tite-Live ou de Cicéron ce que le sanscrit de Simandini est à celui des Brahmanes. En d’autres termes, le spécimen de « latinité » suivant a été calculé de manière à ce que toutes les remarques qu’il suggère s’appliquent aux productions « sanscrites » d’Hélène, simplement en changeant le nom.
« Soient supposés prononcés, dans une scène somnambulique romaine au lieu d’« hindoue », les mots suivants : — Meâte domina mea soróre forinda inde deo inde sini godio deo primo nomine… obera mine… loca suave tibi ofisio et ogurio… et olo romano sua dinata perano die nono colo desimo… ridêre pavére… nove… — voici probablement les observations auxquelles donnerait lieu ce singulier passage, et qui sont identiques à celles que suscitent les textes hindous de Mlle Smith.
« 1°) Pas de sens général saisissable si l’on cherche une phrase. De temps en temps pourtant quelques mots formant une assez bonne suite entre eux, un tronçon de phrase. — 2°) Pris chacun isolément, comme une collection de vocables qu’on sortirait du dictionnaire, quelques mots sont irréprochables (ainsi domina) ; les autres à moitié corrects (ogurio, etc.) ; d’autres, enfin, sans aucune identité évidente [316] avec un mot latin (dinata, etc.). — 3°) Le texte est de toute pauvreté sur le point particulier des terminaisons grammaticales. Non seulement on ne voit rien qui ressemble à des terminaisons très caractérisées comme -orum ou -ibus, mais pas même une terminaison consonantique quelconque comme serait -as, -os, -is, -us, ou même -um, au bout d’un mot. Il semble que l’auteur ait trouvé trop redoutable l’épreuve de fixer la terminaison et la condition grammaticale du mot. — 4°) Le même sentiment semble se manifester hors des terminaisons dans le fait de n’user que de mots extrêmement simples dans leur charpente consonantique, comme do-mi-na, en évitant toute forme qui offrirait une complication, telle que octo, somnus, semper, culmen.
« D’autre part, deux constatations importantes s’imposent :
« 1°) Le texte ne mêle pas « deux langues ». Si peu latins que soient ses mots, du moins on ne voit pas intervenir une tierce langue comme serait le grec, le russe ou l’anglais ; et en ce premier sens négatif, le texte offre une valeur précise. — 2°) Il offre également une valeur précise par le fait de ne rien présenter de contraire au latin, même aux endroits où il ne correspond à rien par l’absence de sens des mots. Quittons ici le latin et revenons au sanscrit de Mlle Smith : ce sanscrit ne contient jamais la consonne f. C’est un fait considérable, quoique négatif. L’f est effectivement étranger au sanscrit ; or, dans l’invention libre, on aurait eu vingt chances contre une de créer des mots sanscrits pourvus de l’f, cette consonne semblant aussi légitime qu’une autre si l’on n’est pas averti. »
Cette dernière remarque de M. de Saussure apporte dans le problème du sanscrit d’Hélène une complication dont on ne s’était pas aperçu jusqu’ici. D’une part, l’f étant un des sons les plus répandus dans nos langues occidentales et spécialement en français, tandis qu’il n’existe pas en sanscrit, il y a en effet quelque chose de très remarquable dans sa complète absence de tous les fragments hindous d’Hélène qui ont été recueillis. D’autre part, la connaissance intime du génie de la langue sanscrite que cela semble impliquer de la part de Mlle Smith, est contredite par le fait déjà relevé (voir p. 274), que plusieurs de ses paroles hindoues renfermaient le son français u[5], lequel [317] n’appartient pas plus que l’f au sanscrit qui prononce toujours ou. Si donc l’absence de l’f résultait d’une réelle possession de cet idiome — soit normale (due à l’étude du sanscrit sous la direction d’un maître), soit supranormale (due aux réminiscences d’une vie antérieure, à une transmission télépathique, etc.) —, on ne comprendrait pas comment Hélène n’aurait pas également évité l’u, d’autant plus que dans certains cas elle ne commet pas la faute et prononce bien ou (par exemple, dans son expression assez fréquente mama soukha).
En attendant les éclaircissements que l’avenir pourra nous apporter sur cette cruelle énigme, j’en reste provisoirement à mon hypothèse ci-dessus, que Mlle Smith a absorbé ce qu’elle sait de sanscrit d’une façon essentiellement visuelle, en feuilletant une grammaire ou d’autres documents écrits, pendant ses phases de suggestibilité. Car cette hypothèse n’est point renversée par l’absence de l’f. Je ne pense pas, en effet, que ce soit faire trop d’honneur aux facultés subliminales — d’après tout ce qu’on sait de leur promptitude, de leur finesse, de leur flair parfois étonnamment exquis et délicat — que d’admettre que l’imagination hypnoïde d’Hélène a fort bien pu remarquer cette absence de l’f dans l’alphabet sanscrit donné par les grammaires, et respecter ce trait dans ses créations ultérieures d’un hindou de fantaisie ; tandis que son regard n’aura aperçu aucune indication nette que la lettre u de cet alphabet eût une autre valeur qu’en français. Quant aux mots où elle dit ou comme cela se doit, elle les a peut être rencontrés accompagnés de leur prononciation notée entre parenthèse, à moins encore que l’initiation visuelle n’ait été complétée par quelques informations auditives égrenées, fournies par les personnes qui lui montraient les documents imprimés.
[318] Je ne me dissimule point ce qu’il y a de peu satisfaisant dans ces explications conjecturales bourrées de peut-être, de probablement, etc. Mais, en tout état de cause, les mêmes difficultés subsistent, et un peu de réflexion suffit à montrer que les hypothèses occultes sont logées exactement à la même enseigne que mon hypothèse purement normale. Car, si c’est vraiment le langage de la princesse arabo-hindoue qui reparaît sur les lèvres de Mlle Smith, ou une infusion télépathique d’un idiome authentique, ou tout ce que l’on voudra de supranormal — comment expliquer la nullité grammaticale de ce parler considéré dans son ensemble, contrastant avec l’exactitude de quelques rares mots ? la remarquable omission de l’f, jointe à la présence fautive du son français u ? la possession de signes graphiques isolés, et l’ignorance de la barre fondamentale qui les précède et les relie toujours dans l’écriture cursive ? l’apparition d’un mot persan comme boulboul, et l’absence de mots arabes, d’autant plus étrange de la part d’une fille de cheik que les musulmans n’ont cessé d’en introduire dans les langues de l’Inde ? etc. ? Les occultistes diront sans doute que Simandini a pu oublier ceci, là où je dis que Mlle Smith a pu retenir cela ; que la princesse de jadis confond peut-être aujourd’hui l’ou hindou avec l’u français, là où je dis qu’Hélène ignore probablement que l’ou se transcrit d’habitude par un u dans les grammaires franco-sanscrites, etc. Comme évidence et précision, on conviendra que ces explications se valent ; c’est bonnet blanc et blanc bonnet. D’où je conclus que, si, tout bien pesé, on préfère encore l’hypothèse occulte à l’hypothèse normale, ce n’est pas qu’elle rende mieux compte des détails concrets du cas, tant s’en faut, mais simplement — qu’elle est occulte. Affaire de goût que je laisse à l’appréciation du lecteur, d’autant plus que j’ai déjà dit plus haut ce qu’en j’en pense.
Nabab passant une revue
Langlès, op. cit. p. 516
[1]. On trouvera une troisième version, antérieure à ces deux-ci, dans l’article de M. Lemaître, loc. cit., p. 186.
[2]. Ici Hélène paraissait s’adresser à M. P. Seippel et à moi (qui sommes les réincarnations respectives d’Adèl et de Sivrouka !) comme pour nous engager à chanter.
[3]. Même jeu à l’endroit de M. Seippel et de M. de Saussure (réincarnation de Miousai).
[4]. Comparez, par exemple, les sentiments des deux seuls couples figurant dans ces cycles. La création du couple conjugal hindou Simandini et Sivrouka suppose une imagination d’adolescent ou d’adulte, tandis que le couple martien Matémi et Siké semble dépeint par un enfant qui aurait assisté aux fiançailles d’une soeur ou d’un frère aîné et entendu quelques fragments de conversation entre les heureux amoureux (voir p. 169 et les textes 20 et 27).
[5]. Ce point paraît avoir été perdu de vue par M. de Saussure dans la deuxième de ses remarques. Jugeant les fragments hindous d’Hélène sur leur recueil écrit, il a oublié que tous les u qui y figurent non précédés d’un o, y ont été prononcés par elle à la française, contrairement à l’habitude des sanscritistes pour qui cette lettre est la transcription du son ou. — M. Glardon m’informe que le son français u n’existe pas davantage en hindostani, et qu’actuellement encore les Hindous de race n’ont pas de f et ne peuvent prononcer cette lettre ; toutefois les musulmans ont introduit dans les dialectes de l’Inde des mots en f, que les Hindous écrivent ph et prononcent en aspirant le p.



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